
Pourquoi le marché du jouet est-il en chute libre ?

Les magasins de jouets représentent-ils encore le paradis des enfants? Pas sûr. Ce n’est pas encore game over, mais les parties perdues s’enchaînent. La dernière en date est celle de Dreamland et Dreambaby. Leur maison mère - Colruyt Group - a annoncé son intention de fermer six magasins en Wallonie et en Flandre, ainsi que la vente des filiales. Au total, 192 emplois sont menacés. La concertation sociale est en cours avec les syndicats pour limiter la casse. La situation était mauvaise depuis des années. Les magasins ont perdu 15 % de leur chiffre d’affaires en 2021 et 2022. 2023 s’annonce en dessous de tout… “Dreamland et Dreambaby ne sont plus rentables depuis plus de cinq ans”, a annoncé le directeur financier de Colruyt Group, Stefaan Vandamme.
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Il ne s’agit pas d’un cas isolé. L’ensemble du marché du jouet est sur une pente descendante. Maxi Toys a déjà dû supprimer six magasins et 32 postes. 92 travailleurs supplémentaires devraient perdre leur job en juillet suite à la fermeture d’un centre logistique. Bart Smit (26 magasins et 108 salariés) a fait faillite en 2020. La Grande Récré a fermé ses seize magasins dès 2018… En 2022, selon le bureau d’études Circana, le secteur du jouet belge a vu le volume de ses ventes reculer de 11 %. En valeur, la baisse est de 6 %…
Pourquoi les magasins de jouets sont-ils en mauvaise posture? Marc Dhooghe, président de la Fédération belge du jouet, apporte la première explication: la crise de l’énergie et du pouvoir d’achat. “On l’a vu à Noël. Les cadeaux de 30 à 40 euros ont plutôt été de 15-20 euros. Ceux de 100-120, plutôt de 60-70 euros.” Il constate aussi le contrecoup post-Covid. “Les familles confinées ont joué énormément aux jeux de société, ont fait des puzzles, ont investi dans de gros jeux, notamment de jardin comme une balançoire ou une piscine gonflable, pour occuper les enfants. Aujourd’hui, il y a donc forcément moins d’achats. On n’est pas totalement pessimiste. Janvier et février ont déjà été meilleurs que l’an dernier. Les choses pourraient se stabiliser, même si avec les crises, on n’ose plus trop s’avancer.”
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Pauline Neerman, spécialiste pour Retail Detail, confirme ces causes, mais en ajoute une autre: les parents achètent de plus en plus de jeux électroniques, de jeux vidéo à leurs enfants. “Or les budgets ne sont pas illimités. Ils doivent donc choisir entre une console et ses jeux, ou des jouets, des jeux d’extérieur ou des jeux de plateau. Le problème est que de plus en plus, les jeux vidéo sont dématérialisés. Ils s’achètent sur les stores de Playstation ou de Nintendo. Même si certains magasins de jouets ont essayé de vendre des jeux vidéo, cela ne comble pas la baisse des ventes par ailleurs.”
Repreneurs contre Internet
75 % du capital de Dreamland et DreamBaby ont été rachetés par la société ToyChamp. Maxi Toys avait déjà été racheté par un autre géant du secteur: King Jouet. Pourquoi ces nouveaux propriétaires réussiraient-ils là où les anciens ont échoué? Pauline Neerman, spécialiste pour Retail Detail, répond: “Ce qui fonctionne moins, ce sont les grands magasins traditionnels, non spécialisés, qui peinent à convaincre le chaland, car ils n’ont plus de plus-value. Le Covid leur a particulièrement fait du mal, car ils n’ont pas su développer leurs ventes digitales. Amazon et Bol.com récoltent l’essentiel des parts de marché en ligne. Des entreprises qui apportent du vrai conseil, une expérience de jeu, qui permettent de tester, parviennent à s’en sortir. Fox et Cie ou Oliwood Toys sont des exemples.”
À quoi jouent nos enfants?
Véronique Maes est l’organisatrice du concours “Toys and Games of the Year”. “Ces dernières années, des jouets un peu gadgets, notamment à collectionner comme les poupées LOL, ont eu beaucoup de succès. Aujourd’hui, les familles sont revenues à des jeux de stratégie, de logique, d’ambiance. Les confinements ont en quelque sorte poussé les familles à jouer ensemble, et cette “obligation” a créé un engouement pour les jeux de plateaux.” Ainsi, le dernier vainqueur de la catégorie “Meilleur jeu de l’enfant” est La Colo-Nid des Manchots, un jeu de plateau en forme de banquise. Pour le “premier âge”, le SmartMax Roboflex Plus, des robots rigolos, a eu la faveur du jury. Côté “stratégie”, Pas vu pas pris et ses fantômes sont les lauréats…
Syndrome de Peter Pan
“Les jeux et jouets sont aussi une affaire d’adulte. Il y a une tendance chez les moins de 35 ou 40 ans”, constate le président de la Fédération belge du jouet, Marc Dhooghe. Les études sont nombreuses à confirmer l’attrait de cette génération et de celles qui la suivent pour les jeux vidéo. Par ailleurs, “depuis le Covid, on remarque qu’ils jouent beaucoup aux jeux de société. Les adultes organisent des soirées “jeux” entre amis”, ajoute-t-il. Des bars à jeu ouvrent ainsi dans toutes les villes du pays. Certains collectionnent même les jouets de leur enfance. Des distributeurs à bonbons Pez, des cartes Magic ou Pokémon, des éditions anciennes du Monopoly, des Barbies ou des Furby… s’échangent aujourd’hui contre des milliers d’euros.