Les primes à la rénovation, un véritable casse-tête : nos tableaux pour y voir plus clair

Le délai pour obtenir une aide à la rénovation explose à cause de la hausse du nombre de demandes. Les Régions essaient d’y faire face, mais en attendant, certains propriétaires sont découragés.

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Sans les primes, de nombreux propriétaires n’auraient pas les moyens de rénover. © Adobe Stock

Sept mois. Et encore, Thierry, 54 ans, n’a pour l’heure pas touché sa prime: 1.570,07 euros, soit environ 35 % du coût de ses triples vitrages. Ça ne saurait tarder… Le service Renolution de la Région bruxelloise lui a envoyé la “décision d’octroi” avec la bonne nouvelle la semaine dernière. Thierry souffle enfin, au bout de son chemin de croix, même si un élément, au moins, le rend perplexe. Il ne comprend pas le détail du calcul en annexe du courrier, notamment le nombre d’unités. En l’occurrence, 4,79. “Les travaux concernent cinq fenêtres. Pourquoi me retirent-ils 0,21 fenêtre? Aucune idée. Mais c’est bon, j’ai assez donné…”, se résigne-t-il.

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Thierry souhaitait nous montrer par l’exemple les différentes étapes de sa demande depuis ses premières recherches, mais mardi 18 avril dans la matinée, le site officiel renolution.brussels était “temporairement indisponible ou surchargé”. “Je suis content, comme ça vous voyez que je n’exagère pas. Il y a toujours des bâtons dans les roues.” Thierry reste bon joueur: le site fonctionne généralement bien. Et puis, il l’admet, le délai de sept mois n’est pas seulement de la faute de l’administration publique. Son dossier était incomplet… Il a dû recontacter l’entrepreneur qui, débordé, a mis un trimestre à lui fournir les informations techniques requises.

Un an et demi plus tard…

En Wallonie, la situation est pire… Stéphanie, habitante de Villers-la-Ville, s’est lancée dans l’isolation de sa toiture. Heureusement, son compagnon avait des fonds propres pour avancer l’argent, car la prime n’est arrivée qu’un an et demi plus tard. “Au final, ce que je crains, c’est que les Wallons ne rénovent pas, surtout s’ils ne vivent pas dans le bien et ne doivent pas assumer les factures d’énergie. Si le gouvernement souhaite vraiment nous pousser à améliorer le bâti pour aider les ménages, y compris les locataires, et lutter contre le défi environnemental, il est urgent d’améliorer le système”, s’agace-t-elle.

L’octroi de primes à la rénovation est une compétence régionale. Ces dernières années, tant Bruxelles que la Wallonie ont réalisé de nombreux efforts pour améliorer leur communication, clarifier les possibilités existantes, digitaliser les procédures. La Région du sud est davantage à la traîne, mais a fait des progrès via renowallonie.be et energie.wallonie.be, bien que les sites nous renvoient encore vers de trop nombreuses brochures PDF. Alors on s’y perd.

Julien Casimir, fondateur de Novaprime, est consultant en “primes et subsides”. La société accompagne particuliers et entreprises dans les démarches administratives pour ne manquer aucune aide pour laquelle ils sont éligibles. Il insiste sur le fait que tout n’est pas mauvais dans le système actuel. Il souligne notamment le nombre important de soutiens financiers disponibles qui accompagnent des milliers de Belges dans leurs projets. D’autant que les Régions les améliorent sans cesse… La Wallonie vient encore d’annoncer la hausse du montant des primes. La Région a également rendu moins contraignant l’audit. Il reste obligatoire dans certains cas, mais les demandeurs ne devront plus respecter l’ordre des travaux indiqués.

Pas qu’une impression

Cela étant dit, Julien Casimir constate deux principales faiblesses. Premièrement, il confirme les délais déraisonnables. Ceux-ci s’expliquent, selon les aveux des deux fonctionnaires que nous avons interrogées - une Bruxelloise et une Wallonne - par l’explosion des demandes suite à la crise énergétique. En Wallonie, il faut compter, en 2022-2023, au moins un trimestre pour les audits réalisés par les pouvoirs publics (compter moins d’un mois via des organismes privés), jusqu’à huit mois pour le rapport de suivi et huit mois pour la décision… Soit plus d’un an et demi. À Bruxelles, 2022 atteindrait “des records”, nous dit-on, mais seuls les chiffres de 2021 sont disponibles. En moyenne, un dossier était traité en 53 jours, contre 16 en 2020 et 10 en 2019.

Julien Casimir le constate dans la pratique. “À Bruxelles, cela prend au moins plusieurs mois, entre quatre et huit.” En Wallonie, c’est catastrophique. “Parfois, on met six mois simplement pour recevoir un accusé de réception! Imaginez si au bout de tous ces efforts, le soutien financier est refusé?” Frustrant…

Deuxièmement, selon le fondateur de Novaprime, il y aurait des efforts à faire dans le suivi de l’avancement du dossier. “La Région-Capitale a lancé une plateforme pour les professionnels baptisée “MyBee”. Les dossiers peuvent y être introduits et suivis. Elle est super. On reçoit des notifications dès qu’il y a un avancement. Il en faudrait une pour les particuliers à Bruxelles et en Wallonie. Dans la capitale, Irisbox est certes utilisée, mais ce n’est pas très intuitif”, soutient-il.

Manque d’humanité

Thierry et Stéphanie ajoutent une frustration: lorsqu’un dossier patine, parfois sans raison apparente, il est difficile de contacter directement les gestionnaires de dossiers de l’administration publique. Ils disent être débordés… quand le téléphone ne sonne pas dans le vent. Un professionnel, qui ne veut pas se fâcher avec l’administration au risque de voir son quotidien se détériorer, confirme en off, mais il y voit plus un manque de bonne volonté qu’une surcharge de travail. Un “grand problème”, dit-il, est que “certains” agents publics manqueraient “d’humanité” et de “compréhension des réalités de terrain”. Or “d’autres sont très flexibles”, ce qui serait la preuve que les “fonctionnaires rigides peuvent faire autrement, s’ils le voulaient”.

Aubry de Broqueville, CEO de Bluetime, éditeur du site travaux-de-renovation.be, a lancé son site web pour combler certains défauts. “On l’a créé dès 2010 car on anticipait les besoins. Les aides ne sont pas toujours simples à trouver et à comprendre. Les règles sont parfois techniques. Il faut donc faire de la pédagogie. C’est d’autant plus important que le secteur de la rénovation est truffé de petits entrepreneurs du bâtiment, pour qui les conditions d’octroi ne sont pas toujours limpides. Or les clients leur demandent des conseils, ont besoin de l’information pour estimer leur budget.

Pour lui, une information claire, un suivi aisé des dossiers et une rapidité de traitement sont indispensables. “La tendance à rénover est née après les confinements lorsque les Belges ont été amenées à vivre davantage chez eux, en télétravail. La guerre en Ukraine a accentué le phénomène. Tant mieux, car en Belgique, le bâti est très ancien et améliorer le PEB est indispensable. Les Belges veulent rénover leur logement, leur seconde résidence, les biens de placements… Pour cela, ils ont besoin de primes.” Nos interlocuteurs s’accordent sur une solution: augmenter les investissements dans les services de gestion de primes. En attendant, Wallons et Bruxellois doivent continuer à se montrer patients…

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