
Les fausses viandes ont du succès : jusqu'à remplacer totalement les animaux ?

Dans un des populaires restaurants The Huggy’s Bar, groupe d’une dizaine d’établissements spécialisés dans les burgers en Wallonie et à Bruxelles, un hamburger, de composition très classique, trône dans l’assiette. Entre les pains et les sauces, sous les oignons, les cornichons et le cheddar, un “steak haché”. Il ressemble à une viande, a la texture d’une viande, le goût de la viande… Mais ce “patty” est entièrement d’origine végétale - de protéines de pois essentiellement, mais aussi de riz ou de fécule de pomme de terre. Mais en le goûtant sans le savoir, difficile de s’en rendre compte. Sur les menus, les alternatives végétariennes n’ont plus rien d’inhabituel. Les raisons d’arrêter de manger viandes et poissons, ou en tout cas de diminuer leur consommation, sont nombreuses: santé, défense des animaux, préservation de l’environnement. Mais comme aucun fruit, légume ou légumineuse n’offre naturellement d’alternative aux viandeurs et qu’une partie de la population n’est pas prête à renoncer à la bidoche, les fausses viandes sont arrivées à la rescousse.
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Nous, c’est le goût
La place accordée au haché végétal ou autre ersatz de poulet est en expansion progressive dans les supermarchés. Deux tiers des Belges déclarent en consommer de temps à autre, selon une étude d’iVox pour l’ASBL ProVeg (anciennement Eva), qui milite pour une alimentation végétale. “44 % des Belges pensent que ces substituts doivent avoir le goût de la viande et être aussi faciles à préparer”, indique Annemarie IJkema, responsable partenariat de l’association. La part de végétariens (et véganes) est passée de 5 à 8 % entre 2020 et 2022 en Belgique, tandis que 28 % de la population déclare se passer de protéines animales au moins un jour par semaine, contre 13 % en 2016.

© BelgaImage
Pouvoir reproduire le plus fidèlement les goûts et textures des différentes viandes est devenu un véritable enjeu. Le secteur est en plein essor. Preuve en est avec la société Paleo. Créée fin 2020, elle propose de donner le goût de viande aux préparations végétales grâce à une protéine, la myoglobine. “Elle est naturellement présente dans les muscles et contribue largement au goût et à l’odeur de la viande, explique Elsa Lauwers, Chief Scientific Officer de l’entreprise. Grâce à des micro-organismes et levures, nous produisons naturellement cette protéine sans utiliser d’animaux. Nos priorités sont vraiment le goût et les valeurs nutritionnelles.” Les entreprises actives dans ce domaine - la fermentation de précision - sont encore peu nombreuses. “Il n’y a que deux sociétés américaines qui proposent un produit similaire au nôtre, affirme la responsable scientifique. Mais ils sont considérés comme OGM et ne peuvent pas être exportés chez nous. Et en Europe, il n’y a rien.”
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Un marché juteux
Paleo vient de réussir à lever 12 millions d’euros d’investissement alors que leur myoglobine n’a pas encore reçu l’aval de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. “Cela prend environ entre un an et demi et deux ans. On espère le recevoir au plus vite.” Parmi ceux qui ont mis la main à la poche, des fonds d’investissement, mais aussi des entreprises qui lorgnent déjà sur ce liquide miracle rouge vif. “Il y a tellement d’intérêt pour ce que nous proposons que les clients nous interpellent. On pourrait presque se passer de marketing.”
En attendant les autorisations, la gamme de Paleo offre déjà bœuf, poulet, porc, mouton, mais aussi thon et encore plus étonnant, mammouth. Tu parles d’un goût disparu… “Un fossile de molaire de mammouth a été retrouvé en Sibérie dans les années 2000. Grâce à cela, le Centre de paléogénétique de Stockholm a pu séquencer le génome de l’animal et ensemble, nous avons réassemblé la séquence du gène de la myoglobine. Nous avons été les premiers humains depuis des millénaires à goûter du mammouth. C’est une viande rouge au goût très prononcé.”
L’intérêt commercial pour ces substituts ultra-ressemblants est donc bien présent. Du côté de la Fevia, la Fédération de l’industrie alimentaire belge, on n’imagine pas que ces simili-viandes remplacent les alternatives végétariennes. Deux marchés innovants devraient exister en parallèle. Idem chez The Huggy’s Bar. Parmi les options de leurs burgers, deux “patty” végétariens, un à base de légumes et fait maison, et l’autre, un faux steak haché très bien imité de la marque Beyond. “C’est une alternative qu’on voulait proposer à nos clients, commente Thomas Mémurlin, gérant. Je dirais que cela plaît surtout à ceux qui essayent de faire attention à manger moins souvent de la viande. Chaque année, la part de clients qui commandent nos burgers végétariens augmente. Nous sommes à 6 ou 7 % aujourd’hui.”
Varier les plaisirs
L’abandon des produits animaliers pour une nourriture plus végétale où les goûts de la saucisse et de l’entrecôte n’appartiendraient plus qu’à ces imitations organiques ne serait qu’une chimère? “C’est notre rêve, je pense”, sourit Annemarie IJkema de ProVeg. Pousser à la diminution ou à l’abandon de la consommation de viande uniquement avec les légumes et légumineuses, l’ASBL n’y croit plus. “Ce n’est pas réaliste. Cela ne convient qu’à une petite partie de convaincus.” L’association voit l’expansion du secteur des substituts végétariens et la course au “réalisme” comme une bonne chose et pointe un avantage notable: la facilité et la praticité. “Pour une alimentation végétale variée et équilibrée, il est intéressant de manger des légumineuses comme les lentilles ou les pois chiches. Beaucoup de gens ne les connaissent pas bien ou ne savent pas les cuisiner. Par contre, un steak haché végétal, ça se prépare exactement comme du bœuf, puis ça permet de manger comme tout le monde lors de repas entre amis ou d’un barbecue, par exemple.”
Reste la question de la santé. Si elles préservent les animaux, beaucoup des fausses viandes de supermarché sont des préparations ultra-transformées produites par des marques appartenant à d’immenses multinationales comme Unilever ou Nestlé. Il faut donc bien choisir ce qu’on achète. “Je ne défends pas ce secteur, précise Annemarie IJkema. Mais ces produits peuvent avoir une place dans une alimentation saine et équilibrée. Comme on ne mangerait pas un hamburger ou du poulet 7 jours sur 7, il ne faut pas non plus baser son alimentation uniquement là-dessus. Il est important de varier: légumineuses, tofu, tempeh et pourquoi pas de temps en temps un burger ou une saucisse végé.” Pour les spécialistes de l’alimentation, l’idée d’un substitut végétal ou microbien, qui goûte et se cuisine comme une viande animale, avec les avantages nutritifs sans les inconvénients écologiques, est séduisante sur papier. Mais nous n’y sommes pas encore. “Il ne faut pas être fermé à l’innovation si elle est durable et bien réfléchie, commente Yvan Larondelle, professeur à la faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain. Mais aujourd’hui, les steaks alternatifs et autres produits de substitution sont souvent moins nutritifs que la viande, le poisson ou les œufs, notamment en raison des additifs ajoutés et de certains nutriments absents ou moins assimilables. Sans compter l’impact environnemental des entreprises qui produisent certains de ces aliments hyper-transformés.”
De l’éducation, de l’équilibre
Selon le professeur, qui contribue avec d’autres chercheurs aux projets de la Région wallonne visant à faire des chaînes alimentaires du futur un de ses domaines d’innovation stratégique, le consommateur reste mal informé sur les nécessités d’une alimentation durable et équilibrée. “Il faut vraiment investir dans l’éducation des jeunes et des enseignants. Nous sommes des omnivores avec des besoins nutritionnels divers, dont des nutriments contenus dans la viande. Elle n’est pas irremplaçable, mais il faut surveiller son équilibre alimentaire.” L’idéal serait que des entreprises prennent tout en considération: les bienfaits nutritionnels de la viande (pas que l’apport en protéine), mais aussi l’exigence d’un impact environnemental aussi faible que possible. “Mais ma conviction personnelle est qu’il vaut mieux innover en matière de nouveaux produits alternatifs sains et écologiques que faire de la copie de produits d’origine animale dont on se souhaiterait se débarrasser.”