Comment notre consommation de viande a-t-elle évolué ?

Le rosbif laisse la place à la viande hachée, plus fréquentable. La ­charcuterie est toujours présente dans les boîtes à tartines. Mais les goûts en matière de viande évoluent. Focus.

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Les Belges consomment 82 kg de viande par an, le double de la moyenne mondiale. © Adobe Stock

Les fêtes sont passées et la saison des ­barbecues est encore loin. Pour les ­éleveurs-bouchers wallons, ce n’est pas la joie. “On n’a jamais connu une diminution comme maintenant, constate Olivier Houard, éleveur et restaurateur à Bomal-sur-Ourthe. Au restaurant, les beaux morceaux - la côte à l’os, le filet pur ou les steaks - partent encore, mais en boucherie, les ­clients s’orientent vers des produits préparés comme les pains de viande ou les oiseaux sans tête. Ils achètent moins mais de meilleure qualité. Pourtant, on a connu un réel succès pendant le Covid - nous qui ne faisons que de la vente directe, de l’étable à l’assiette.” Frédéric Warnier, éleveur et boucher à Villers-le-Bouillet, fait de l’agneau, du poulet, du bœuf sur le ­principe de la boucherie à la ferme. Il revendique son concept de boucherie traditionnelle. “Les ­semaines sont en dents de scie avec un peu moins de vente de bœuf”, déplore-t-il. Pour lui aussi, en temps de Covid, les choses ont bien fonctionné. Mais les clients sont retournés vers du préparé, en tout cas en semaine. Le week-end, ils s’offrent des couronnes d’agneau, de l’entrecôte et du rosbif. “Cest le poulet fermier qui a le plus de succès, au moins autant que les préparations à base de viande hachée.

Chez nous, les carnivores restent largement majoritaires. Les Belges consomment en moyenne 82 kg de viande par an, soit le double de la moyenne mondiale. 89 % de cette viande provient de quatre sources: le porc, le bœuf, le veau et la volaille. “Nombreux sont ceux qui ont des habitudes et s’en tiennent à leur régime fixe, détaille Bart ­Stevens, à la base d’une étude publiée par l’association belge de recherche et d’expertise pour les organisations de consommateurs (AB-REOC). L’aspect gustatif, le plaisir et le rôle social de la viande restent un facteur important. Dans notre étude, deux tiers des mangeurs de viande mentionnent spontanément le goût et le plaisir de manger de la viande. Ils ne sont pas familiers avec les alternatives et n’ont aucune idée de la façon d’ajuster leur alimentation car ils ne ressentent tout simplement pas le besoin de le faire ou sous-estiment l’impact de leurs propres habitudes alimentaires sur le climat et la santé.

Moins de viande, tout dépend pour qui

Pourtant, c’est un fait: on consomme désormais moins de viande. La tendance est constante sur ces dix dernières années. Plus d’un Belge sur dix ne mange plus du tout de viande (mais parfois du poisson) et trois Belges sur dix sont devenus flexitariens (en supprimant la viande certains jours, notamment le “jeudi veggie”). Mais selon l’enquête de l’AB-REOC, environ six consommateurs sur dix ont l’intention de maintenir leur consommation de viande au même niveau dans les années à venir. Un Belge sur dix se rebelle et souhaite augmenter sa consommation de viande animale! La consommation de viande de bœuf a d’ailleurs augmenté en 2021, période propice à acheter de belles pièces à cuisiner chez soi alors que nous étions privés de ­restaurants. Paradoxalement, cette tendance en côtoie une autre: une proportion croissante de ­Belges veut consommer moins de viande. En 2022, la baisse est évidente. “La première hypothèse pour expliquer ça, c’est la crise et la baisse de pouvoir d’achat”, estime Julien Capozziello, responsable de l’observatoire des consommateurs de l’Apaq-W.

La viande, un produit de luxe réservé aux riches? C’est l’idée que le premier secrétaire du Parti ­communiste français (PCF), Fabien Roussel, a récemment balancée. Pour lui, “on mange de la viande en fonction de ce que l’on a dans le porte-monnaie, et pas en fonction de ce qu’on a dans sa culotte ou dans son slip”. Il réagissait aux propos de Sandrine Rousseau, députée Europe Écologie-Les Verts (EELV) qui plaidait pour “changer de mentalité, pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité”. La consommation de viande rouge diminue le plus en milieu urbain - Bruxelles en tête - et chez les jeunes adultes, hommes comme femmes. Dans les campagnes, le steak bien saignant, voire bleu, reste dans les assiettes.

Le haché fait oublier l’animal, l’abattoir. C’est comme les nuggets, on oublie la bête qu’on a dû tuer.

Mais globalement, et certainement depuis la baisse du niveau de pouvoir d’achat, les Belges con­somment particulièrement des saucisses, des ­hamburgers et tout ce qui est sous forme hachée. “Les carbonnades et les rosbifs sont beaucoup moins prisés, constate Nicolas Guggenbühl, expert en nutrition chez Karott et professeur en nutrition et diété­tique à la Haute École Léonard de Vinci. C’est lié en partie à la taille des ménages où la pièce d’un kilo de viande ne correspond plus au nombre de bouches à nourrir.” On abat toujours chaque mois en Belgique entre 25 et 27 millions d’animaux pour la consommation, dont une large majorité de poulets. Mais c’est le porc qui est le plus consommé en quantité. On en fourre dans les plats préparés. Et un hachis porc-veau, c’est 80 % de porc. “Le haché fait oublier l’animal, l’abattoir. C’est comme les nuggets, on oublie la bête qu’on a dû tuer.” Et puis, le porc, c’est bon marché… On paiera environ 13 euros du kilo le bœuf contre moins de 9 euros du kilo le porc même si la volaille, elle, est encore plus accessible à 7,80 euros du kilo. Fait étonnant: le plat préparé n’est pas tellement plus cher du kilo que la volaille.

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Tandis que la viande rouge baisse, la volaille a donc progressé à la hausse. “La viande rouge a mauvaise presse. Elle a la couleur du sang, ça émeut… Beaucoup de filles lors de l’apparition de leurs premières règles ont un dégoût pour la viande rouge qui incarne encore dans l’imaginaire la force, la violence et la virilité. C’est évidemment purement symbolique. Mais c’est encore très présent dans les milieux popu­laires: le steak, c’est ce qui donne l’énergie pour ­travailler”, explique Nicolas Guggenbühl, confirmant l’imaginaire viril de l’entrecôte.

41.000 tonnes de charcuteries par an

Par contre, ce n’est pas parce qu’on a de gros moyens qu’on mange de gros morceaux de viande pour autant. Dans les milieux plus aisés, on est aujourd’hui plus sensible à l’aspect durabilité de la planète et à sa santé. “C’est comme pour l’alcool… On voit de plus en plus de nouvelles boissons pas ou très peu alcoolisées. C’est pareil pour les substituts végétaux. La viande se ringardise. Elle a perdu de son aura. C’est signe de pollution. Or on mange autant avec son cortex cérébral qu’avec ses dents.” Les ­charcuteries font curieusement de la résistance. Notamment les italiennes même si les wallonnes sont évidemment plus consommées. Un Belge sur six mange quotidiennement de la charcuterie alors que seulement un Belge sur vingt prépare quotidiennement de la viande. “La charcuterie semble donc être très populaire”, souligne Bart Stevens.

 

L’exportation de salaisons et de spécialités charcutières italiennes a connu un véritable regain en 2021 (+ 16 % par rapport à 2020) et même une hausse légère en 2022. Les Belges privilégient les jambons crus (de Parme, culatello, coppa), les ­saucissons et saucisses sèches ainsi que la mortadelle, les würstel ou le zampone. Nos bouchers confirment cette tendance qui garde le jambon, le saucisson et les salaisons dans les paniers des ­consommateurs. Plus de 41.000 tonnes de charcuteries sont vendues chaque année en Wallonie. Chaque habitant en consommerait 28 kilos par an. Pourtant, les charcuteries sont dans le collimateur des nutritionnistes. “Idéalement, on ne devrait en consommer que 30 grammes par semaine, soit une seule tranche de jambon. Car elles sont classées comme cancérigènes avérées. Mais il faut relativiser et voir avec quelles crudités de qualité on les consomme car dans l’alimentation, il y a autant de poisons que d’antidotes”, souligne Nicolas Guggenbühl.

La viande reste ancrée dans notre culture alimentaire. Les ventes de substituts de viande ont doublé en quelques années mais elles ne représentent que 1 % de la quantité de viande consommée en ­Wallonie. Si 41 % des Belges recherchent des ­substituts de viande lorsqu’ils font leurs courses, ils se tournent essentiellement vers d’autres protéines animales comme le poisson, les œufs et les produits laitiers. Et pour cause… “Dans les alternatives à la viande, il y a à boire et à manger. Beaucoup de substituts à la viande relèvent surtout de la chimie en présentant plus de vingt ingrédients différents, dont une série d’additifs, du sel, du sucre qui font douter de leur qualité en termes de santé.” La tendance devrait donc se diriger vers plus de végétaux. Mais si la viande fait de la résistance, c’est aussi que le goût des substituts n’y est pas. “Ils vont jusqu’à mettre de l’arôme de fumet. C’est comme un édulcorant, ce n’est pas la même chose mais pas tellement mieux.” Qu’à cela ne tienne, le secteur agroalimentaire se prépare tout de même à un big bang. En juillet 2022, Delhaize, géant de la distribution belge, a révélé son intention de doubler son offre de produits végétaliens d’ici 2025, estimant que le consommateur se prépare à une transition massive vers des aliments végétaliens.

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