

Faut-il abandonner l’extension Nord du projet de ligne 3 du métro, entre Nord et Bordet ? La question a été posée par Beliris, dans une note envoyée aux membres du gouvernement bruxellois lundi. Ce projet de métro accumule les difficultés. Avec pour conséquence une explosion des coûts liée non seulement à la situation internationale mais aussi à la complexité du chantier, le cas le plus parlant étant le problème rencontré sous le Palais du Midi (tronçon sud).
Résultat : coût en forte hausse – on parle aujourd’hui de 900 millions d’euros au minimum. Pour le tronçon nord, le coût est passé, en trois ans, de 1,054 milliard d’euros à près de 2,5 milliards d’euros, sur base des devis envoyés récemment à Beliris par les deux consortiums en concurrence. Ceci alors que les permis n’ont même pas encore été octroyés. Au total, la facture pour la construction de cette ligne 3 pourrait donc dépasser les 3,5 milliards d’euros. Donc une très large majorité financée par les Bruxellois.
En posant la question de l’abandon ou de la suspension du métro nord, Beliris met enfin les pouvoirs publics – le gouvernement bruxellois en premier chef – devant leurs responsabilités. Ces deux pistes sont pourtant exclues par le MR et le PS bruxellois – à la source du projet sous l’ancienne législature. Ceci alors que de nombreux experts en mobilité et finances publiques alertent sur le manque de pertinence d’un tel projet depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.
Parmi eux, Maxime Fontaine. Cet expert en finances publiques à l’ULB donnait justement une présentation publique du dossier lors d’une conférence organisée par l’université de Saint-Louis. Il avance deux arguments en faveur d’un abandon du projet Nord-Bordet. Le premier est financier. “Les finances publiques bruxelloises sont dans une situation très compliquée, avec un déficit très important. Tant que l’on pouvait se refinancer à 0 %, cela n’avait pas d’impact visible. Il y a encore quelques années, nous étions sur du -0,5 %. Mais aujourd’hui, lorsque l’État belge emprunte, le taux d’intérêt atteint du 3,2 %. Sur des sommes dépassant le milliard d’euros, ça fait beaucoup d’argent.”
Maxime Fontaine pense que le taux d’emprunt imposé à la Belgique, donc à Bruxelles, augmentera encore, pour trois raisons. “Primo, le contexte international n’est pas favorable. Deuzio, si comme le ministre fédéral des Finances le pense – et moi aussi -, la Belgique est concernée par une procédure de processus de déficit excessif en 2024, le taux augmentera encore. Tertio, l’échéance électorale pourrait préfigurer une nouvelle crise institutionnelle en Belgique. Ce qui fera, là encore, augmenter les taux d’intérêt, comme ce fut le cas lors de la crise de 2010. Les taux avaient grimpé de deux points assez rapidement, passant de 3 à 5 %.”
À cela s’ajoute la situation financière de la Région bruxelloise, “la pire de toutes les entités”. “Pour l’instant, les agences de notation sont clémentes avec Bruxelles. Mais si la Région-capitale voit sa note se détériorer, cela fera encore augmenter les taux d’intérêt.” Pour toutes ces raisons, Maxime Fontaine estime que la poursuite du projet Nord-Bordet “présente des risques énormes” alors que “Bruxelles n’a pas les épaules assez solides”.
”Je ne comprends pas que, malgré les arguments des experts martelés dans les médias, auprès des cabinets, lors de conférences, etc. depuis des mois, il n’y ait pas de prise de conscience politique ! Hausse des taux, effondrements, dépassements financiers, etc. Les experts ont dit exactement ce qui allait se passer. Plus encore aujourd’hui avec la crise Covid, les habitudes de travail ont évolué. Tout le monde constate qu’il y a moins de déplacements à Bruxelles avec le télétravail. Je ne comprends pas ce refus d’une partie de la classe politique de réfléchir aux alternatives, cette absence de prise de conscience. En tant que chercheur en finances publiques et Bruxellois, je suis vraiment très très inquiet. Je pense que l’on se dirige vers un drame.”
Le second argument de ce chercheur bruxellois, qui s’inscrit ici dans une démarche collective, porte sur la pertinence du projet au regard des priorités bruxelloises en matière des réductions des émissions de CO2. “La question est de savoir s’il est pertinent de dépenser plus de 2 milliards d’euros pour sept stations de métro enterrées à 30 mètres sous terre, pour un transfert modal très faible – 0,61 % – alors que le bâti bruxellois – qui constitue la plus grande source de pollution – doit être urgemment isolé et que cela coûtera, là aussi, des milliards d’euros. La presse relayait ainsi récemment que le budget des primes bruxelloises à l’isolation était déjà à saturation.”
Une des pistes privilégiées par plusieurs experts et avancées dans le projet Avanti : privilégier des modes de transports publics moins coûteux et impactant pour la vie des riverains, plus efficients également en termes d’accessibilité et doté d’un bien plus grand nombre d’arrêts, prônent encore les experts. Maxime Fontaine prend l’exemple du tram 10 vers Neder-Over-Heembeek. Selon les estimations, cela coûte environ 80 millions d’euros pour cinq kilomètres, réaménagement de l’espace public, de façade à façade compris. Soit un coût au kilomètre de 16 millions d’euros. En comparaison, le tronçon Nord de la ligne 3 du métro, qui s’étend sur 4,5 kilomètres, coûtera donc jusqu’à 2,5 milliards d’euros, selon la note de Beliris. Même si les devis se négocient, on atteint un prix au kilomètre de plus de 500 millions d’euros, à charge des Bruxellois. Allo, Sven Gatz ?