Les enfants volés du Congo belge : "Tout a été fait pour faire disparaître ces métis"

Des métis et leurs descendants ont accès aux archives de l’État depuis quatre ans. C’est là qu’ils ont trouvé certains ­­des secrets les plus honteux de notre Royaume.

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Confiés à des institutions religieuses, les métis en devenaient souvent les souffre-douleur.

On les appelait les mulâtres. Ils n’étaient ni Blancs ni Noirs. Ils étaient les enfants du péché. Entre 14.000 et 20.000 enfants métis ont été volés par l’État belge entre 1908 et 1960. Certains d’entre eux ont ensuite été envoyés en Europe où ils ont été placés dans des familles d’accueil, des familles adoptives ou des institutions. Beaucoup d’entre eux, mais aussi leurs proches et descendants, sont toujours à la recherche de leurs racines, en quête d’informations sur leur propre histoire familiale. Cette affaire a été cachée pendant des décennies. Malgré des excuses formulées par Charles Michel, alors Premier ministre, et plus récemment des regrets exprimés par le roi Philippe lors de sa visite au Congo, cette affaire honteuse n’a pas encore livré tous ses secrets. Ils sont tapis dans les archives du Royaume.

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Mais depuis près de quatre ans, les ­archives de l’État répertorient l’ensemble des dossiers pour retracer les parcours individuels et collectifs des métis issus de la colonisation belge. L’objectif est de leur permettre, ainsi qu’à leurs descendants, de découvrir leur filiation, leur identité et leur passé qui leur a été volé. Depuis le début du projet “Résolution-Métis”, les archives de l’État ont reçu plus de 277 demandes de recherche émanant de métis et de descendants. L’ouverture à la presse des archives a relancé les demandes. “C’est délicat, sensible et ­personnel. Certains ne feront jamais de demande parce que savoir les perturbe plus qu’il ne les soulage, explique Delphine Lauwers, coordinatrice du projet aux archives de l’État. Ce n’est pas évident de comprendre que les recherches sont complexes et prennent du temps. Les archives sont dispersées à plusieurs endroits. Tout ça prend un temps fou, mais cela s’améliore car l’accès ne souffre plus de restrictions.” Ce travail, qui emmène les archivistes de la Belgique en Afrique en passant par le Vatican, se poursuivra jusque fin janvier 2026. Un bilan circonstancié de ce qui s’est réellement passé et des responsabilités des différents acteurs sera alors établi.

Ce qui se confirme aujourd’hui, c’est l’organisation d’un véritable système mis au point par tous les rouages de l’État belge avec la complicité active de l’Église autour de ces enfants innocents. Un système raciste et racialiste d’enlèvement d’enfants et de ségrégation. “Tout a été fait pour faire disparaître civilement ces métis. Tout ce dont nous avions l’intuition est désormais prouvé, appuie Maître Hirsch, qui attaque l’État belge pour crime contre l’humanité au nom de cinq métisses. Les métis étaient considérés comme une menace pour l’État colonial. On pensait qu’ils pourraient prendre le pouvoir. Ils étaient de surcroît une menace contre la suprématie de la race blanche. On a saccagé leur vie et celle de leurs ­descendants. Il serait digne et légitime que l’État répare.

Maltraitances

Les enfants avaient entre deux et quatre ans au moment où ils étaient enlevés. Les institutions voulaient des enfants sevrés, propres et capables de marcher. On les plaçait le plus loin possible de leur famille. On leur enlevait le nom de leur père. On falsifiait même parfois leur date de naissance. Tout cela n’était nullement fait “pour leur bien”. Ces enfants étaient souvent maltraités, et devenaient de ­véritables souffre-douleur de leurs tuteurs religieux.

En Flandre, d’abord

Jacqueline a 67 ans. Elle est métisse, née au Rwanda. Elle a appris que ses parents s’étaient mariés traditionnellement, mais ce mariage n’a pas été reconnu. Elle a été enlevée à sa famille alors qu’elle avait 3 ans et que sa mère avait tenté par deux fois de s’enfuir pour la garder. “Mais ils ont utilisé la force. On les appelait les gendarmes.” Envoyée en Belgique, la fratrie de ­Jacqueline a été cassée et son nom modifié. “En 2014, on a commencé à dire qu’on avait le droit de connaître notre passé et d’ouvrir les archives.” C’est le Parlement flamand qui a ouvert le bal, avec une série de mesures prises sous l’impulsion de l’ASBL Mater Matuta, pour finir par présenter ses ex­cuses officielles aux victimes des adoptions forcées en novembre 2015. Les premières excuses du pays. “Les archives nous aident beaucoup. Mais si on commence à demander de l’argent, les portes se fermeront”, craint Jacqueline.

Crime contre l’humanité

Trois avocats, Mes Michèle Hirsch, Christophe Marchand et Nicolas Angelet poursuivent l’État belge pour “crime contre l’humanité” à l’encontre des métis enlevés à leur famille africaine originaire du Congo, du Rwanda et du Burundi au nom de cinq grands-mères de plus de 70 ans. Les avocats réclament des réparations évaluées à 50.000 euros. Le 21 décembre 2021, le tribunal de première instance de ­Bruxelles a débouté les plaignantes estimant que s’il s’agissait en effet d’un crime contre l’humanité en soi, à l’époque des faits cela ne l’était pas vu le contexte. L’affaire se poursuit en appel.

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