Pierre Wunsch, gouverneur de la BNB : "Les Belges sont riches"

Les prix ne cessent de grimper... Pour les stopper, la BNB relève les taux. Son gouverneur l’admet: cette politique rend l’accès au marché de l’immobilier plus difficile. Mais elle serait essentielle pour enfin soulager le portefeuille des ménages.

Pierre Wunsch
Pierre Wunsch est le gouverneur de la Banque nationale de Belgique (BNB) depuis 2019. © BelgaImage

Quatre-vingt-neuf euros. Voilà la différence de prix du caddie moyen en mars 2023 par rapport à mars 2022. Soit une hausse de 20,6 %. Autant dire que l’indexation automatique des salaires survenue fin janvier ne comble déjà plus la baisse du pouvoir d’achat… Les supermarchés sont les commerces où les prix augmentent le plus. L’inflation moyenne est heureusement inférieure. Pour l’ensemble de l’année 2023, elle devrait tourner autour de 4,2 %. Dans ce contexte, la Banque nationale de Belgique veille à calmer le jeu pour soulager les ménages et les entreprises. Pierre Wunsch en est son gouverneur.

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La crise du pouvoir d’achat est-elle enfin derrière nous?
Pierre Wunsch - Non. Il y a des effets de “second tour”. L’inflation peut être séparée en deux phases. Elle a d’abord été liée à l’explosion des prix de l’électricité et du gaz. Cette phase arrive doucement derrière nous. On espère, pour de bon. Ensuite, elle s’est déplacée vers certains biens, notamment alimentaires. L’inflation se généralise aujourd’hui dans les services car les travailleurs - et c’est logique - demandent une compensation. En Belgique, elle vient avec l’indexation automatique des salaires. L’inflation reste donc au-dessus de notre objectif de 2 %, même si elle doit continuer sa descente. On s’attend encore à une hausse du coût de la vie pour 2023 et, de façon plus raisonnable, pour 2024. Toutefois, nos modèles ont été calibrés sur une période d’inflation très faible. Or ce qu’on vit maintenant, on ne l’avait plus vécu depuis les chocs pétroliers des années 70. De ce fait, notre expérience reste limitée.

Que peut faire la BNB pour soulager les ménages?
Les banques centrales ne peuvent pas réaliser de miracle. On ne peut pas dire “à partir de demain, les prix énergétiques seront plus bas”, car on importe l’énergie de l’étranger et on n’a aucune prise là- dessus. Par contre, lorsque l’inflation se répand dans le reste de l’économie, on peut essayer de la maintenir sous contrôle. Comment? En ralentissant la demande. C’est pourquoi la Banque centrale européenne et la BNB misent sur une augmentation des taux.

Les citoyens ont parfois l’impression de perdre sur tous les plans: les prix explosent et les taux, notamment hypothécaires, s’envolent.
On s’est habitué en Belgique à des périodes pendant lesquelles nous n’avons pas dû être à ce point attentifs à l’inflation. Aujourd’hui, on est obligé d’intervenir assez vigoureusement pour la maintenir sous contrôle. Cela implique une forte augmentation des taux d’intérêt, telle qu’on n’en avait plus connu depuis le début des années 80. On veut ramener l’inflation à 2 % sans casser la machine. Le risque étant que si on n’en fait pas assez, l’inflation va continuer à s’autoalimenter. Si un autre choc devait apparaître, on pourrait alors connaître des dérapages. Ceci est visible aujourd’hui dans certains pays émergents où le coût de la vie est passé du simple au double. L’inflation est une cocotte-minute sous pression. Il faut la refroidir. C’est ce qu’on fait. Oui, cela a des impacts. Oui, les crédits hypothécaires deviennent plus chers. Oui, l’accès au crédit est plus difficile… On est dans une période de transition: les taux sont plus hauts et les prix de l’immobilier n’ont pas encore vraiment baissé. Normalement, le marché s’ajustera…

Y a-t-il une différence entre la baisse réelle du pouvoir d’achat et la perception des Belges?
Une inflation de 10 % renferme plusieurs réalités. Les travailleurs indexés une fois par an la subissent plus que ceux qui le sont tous les mois. Certains publics, notamment les personnes moins favorisées, sont plus exposés à la hausse des prix de l’énergie et de la nourriture. C’est pourquoi des mesures ont été prises par le gouvernement, comme l’extension du tarif social pour l’énergie. Cette mesure a permis de bien amortir le choc social. Après, il y a le débat sur l’indexation et son caractère approprié ou non. Elle vise à préserver le pouvoir d’achat. C’est positif. Par contre, elle fait reporter l’essentiel du coût vers les entreprises. Cela peut conduire à des problèmes de compétitivité. On a eu de la chance, car les prix du gaz se sont finalement effondrés après une explosion en 2022. On va probablement simplement perdre en compétitivité pendant deux ans. Mais on a vu les limites du système. Aujourd’hui, il faut mener le débat: l’indexation automatique des salaires est-elle optimale sous sa forme actuelle? Cette question est ultrasensible. On gagnerait pourtant à discuter de certaines adaptations pour mieux protéger les travailleurs et épargner les entreprises. D’autant que les conséquences à terme sont des faillites éventuelles, et donc des pertes d’emploi.

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Les Belges possèdent à la banque plus de 1.100 milliards d’euros. Mais la moitié ont un patrimoine réduit... © BelgaImage

Les Belges ont-ils encore de l’argent?
On peut considérer que les Belges sont “riches” grâce au patrimoine cumulé des particuliers, l’un des plus élevés en Europe. Il équivaut, en 2021, à plus de 1.100 milliards d’euros. Le patrimoine immobilier est, lui, de plus de 1.700 milliards. Cela équivaut à environ 250 % du PIB. Cela étant dit, 50 % des Belges ont un patrimoine très réduit. Parmi eux, certains ont des revenus très faibles. La pandémie a forcé l’épargne. Certes, le patrimoine a légèrement baissé ces dernières années, mais c’est lié à la baisse des valeurs des actions. Une partie de l’argent reste sur les comptes d’épargne. Cette épargne ne dort pas, comme on l’entend parfois, elle circule. Il y a des dépôts d’un côté et de l’autre, des prêts aux ménages, aux entreprises. L’argent sur les comptes d’épargne a donc une utilité pour notre économie. Et puis les gens peuvent le récupérer quand ils veulent, en cas de besoin.

La déroute du Crédit Suisse et de la Silicon Valley Bank a inquiété tout le monde. Dans quel état de santé sont les banques belges?
Depuis 2008, on a renforcé la régulation. On a plus d’informations sur les banques qu’à l’époque. Les banques ont des obligations de capital, de coussins de sécurité en liquidité plus élevés. Il est dès lors difficile d’imaginer une crise, mais je ne peux pas l’exclure non plus. Après les événements du Crédit Suisse et de la SVB, on a retourné les chiffres dans tous les sens. On n’a rien trouvé. Il n’y a pas de failles. À la BNB, on a une culture de grande aversion au risque. On a toujours été sévère dans l’interprétation des règles. J’ai une seule préoccupation: les réseaux sociaux. À cause d’un effet d’emballement, on constate que des milliers ou des millions de clients peuvent se convaincre mutuellement de retirer d’un seul coup des milliards de dollars de dépôts. Si une rumeur infondée apparaît, et qu’elle convainc sur les réseaux sociaux, une banque peut se retrouver en grande difficulté. Ce phénomène est totalement nouveau. C’est notre question du moment: quelle est la durabilité des bases de dépôts des banques belges?

L’échec de NewB démontre-t-il qu’une banque “différente” n’a pas sa place en Belgique?
Pour moi, la question est plus globale: y a-t-il aujourd’hui de la place pour une nouvelle banque? Peu importe son positionnement… Le marché belge est relativement saturé. La BNB a exigé, comme elle le fait pour toutes les autres institutions bancaires, que NewB réunisse suffisamment de capital, de fonds propres. C’était nécessaire pour ne pas mettre en danger les dépôts des clients. NewB n’est pas parvenu à mettre sur pied une activité rentable. On peut aussi s’interroger sur la nature de l’engouement autour de NewB. Peut-être était-il surtout médiatique? Il ne s’est en tout cas pas transformé en un appétit très grand de la part des clients pour y déposer leur argent.

Faut-il s’inquiéter de la digitalisation des banques?
On vit dans un système de plus en plus européen en matière de réglementation. Dans ce contexte, c’est assez normal de voir apparaître des banques digitales transfrontalières. Pour certaines générations, l’idée d’aller à un guichet, de faire la file, est impensable. Les jeunes vont plus facilement vers les canaux digitaux. Ceci dit, le jour où ils ont envie de contracter un prêt hypothécaire, ils préfèrent avoir un banquier en face d’eux. Les banques essaient de s’adapter en gardant si possible une présence physique pour les moments importants de la vie.

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