
À la rencontre du ManKind Project, le seul club masculiniste de Belgique

Lille, Fives, 19 h 30, un soir de semaine. Les maisons XIXe siècle de ce faubourg de la métropole française arborent leurs ferronneries et leurs balcons fraîchement repeints. Le quartier a préservé une identité bourgeoise malgré les bouleversements industriels qu’a connus la région. Une ancienne usine accueille une “soirée retour” du MKP. “Venez écouter et fêter les hommes qui reviennent de leur “Aventure initiatique des nouveaux guerriers”. Durant cette soirée, nous aurons le plaisir de vous présenter l’association MKP France, d’entendre les témoignages de ces hommes, celui de leurs proches et celui de l’équipe encadrante. Ce sera aussi l’occasion de présenter les associations de femmes, Sacrée Femme!, Woman in Power, Femmes au Monde”, disait l’invitation. Un certain ton est donné. Et, forcément, on se demande si des “guerriers” peuvent coexister pacifiquement avec des “Women in Power” ?
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Soirée retour des guerriers
Dans le sous-sol de l’usine, des hommes nous accueillent. Rien à voir avec les bizutages de certains pensionnats ou les baptêmes de certaines facultés. L’appréhension disparaît rapidement. D’abord les locaux sont colorés, propres, agréables. Et il y a des femmes. Ce qui, évidemment, brise le préjugé du groupe masculiniste et viriliste. Enfin, il y a le sourire des hommes. Pas d’attitude de défi, de défiance. Les regards jaugent sans doute un peu mais sont accueillants. Ils sont nombreux et nombreuses à aimer communiquer et échanger. On sait rapidement qui est qui, qui fait quoi. Se dégage de l’assemblée - une trentaine de Belges et de Français - une impression indéniablement joyeuse. Cette prise de contact est au contre-pied de ce à quoi on pouvait s’attendre.
Car le MKP a une odeur de soufre. L’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi) rappelait, en décembre dernier, tout le mal qu’elle pensait de cette association, créée aux États-Unis en 1984 - 70.000 membres dans le monde dont 4.000 en France et 600 en Belgique -, qui entend “reviriliser les hommes livrés à une crise identitaire depuis que les femmes, et particulièrement des féministes, dominent la société et les institutions”. L’Unadfi indiquait également que la Miviludes, l’observatoire interministériel français de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, avait recensé dix signalements sur ce groupe en 2021. Parmi ceux-ci, il avait été fait mention “à cinq reprises de changements de comportement radicaux et de violences commises par un mari, un conjoint ou un beau-fils à la suite de leur participation à ces stages”.
Le voyage du héros
Et dans un autre cas, un homme avait “brutalement demandé un divorce à son retour de stage avant d’imposer des méthodes éducatives très strictes à ses enfants”. Cette “soirée retour” lilloise des guerriers du Nord ne serait-elle qu’une mise en scène? On a beau chercher un regard soumis ou apeuré d’une compagne, une phrase cassante d’un homme au détour d’une conversation, on reste sur notre faim. Et le “petit sablé bio sans sucre préparé par moi ce matin” n’est pas distribué par une femme en tablier mais par un quadra aux allures de randonneur. “MKP, c’est vraiment l’idée de changer le monde un homme à la fois, commence le quadra randonneur. Le ManKind Project, on peut le traduire par “projet pour le genre humain”, un projet pour l’humanité qui inclut les femmes et les hommes.” Celui qui a la parole rappelle l’histoire américaine du groupe. Assez rapidement l’exposé prend un tour étonnant. Et met en pièces un concept qu’on n’attendait pas ici: le patriarcat. La souffrance de devoir se conformer à des “stéréotypes de domination”. La souffrance infligée à l’entourage par “l’obligation culturelle de se conformer à ces stéréotypes”. La proposition du MKP émerge. Il s’agit d’une déconstruction. Une déconstruction basée sur une méthode. Celle que le mythologue américain Joseph Campbell déclina dans les douze étapes du son Voyage du héros.

L’initiation du ManKind Project mélange épreuves physiques et émotionnelles. © Adobe Stock
Ce voyage, cette déconstruction permettrait de se rapprocher de soi, de gagner en assurance et de se libérer de ses souffrances. Même si l’assemblée est composée de profils différents, il y a un trait qui revient très fréquemment dans les biographies: un trauma, une souffrance, un deuil… Se dessinent, alors, les contours de ce qu’est vraiment le MKP: un groupe de développement personnel vécu en “non-mixité choisie” pour permettre aux hommes de vider leurs chagrins ou de mieux cerner le point sur lequel ils veulent travailler. “Je m’appelle Patrick. Ce que j’ai retenu de mon initiation, c’est le combat contre moi-même, commence un des derniers hommes à avoir réalisé son aventure initiatique. Avant, j’avais peur des hommes, de faire un hug à un homme. Je me suis rendu compte qu’on est tous semblables. Je me suis mis, après mon initiation, dans un “igroup”, un groupe d’intégration qui rassemble des initiés, et je m’y sens bien. Mais je dois faire un effort: j’ai des préjugés, des a priori, des jugements. L’initiation m’a permis de trouver en moi les clés pour me rapprocher des autres. Je le constate dans mon boulot avec les collègues, avec mes enfants également. Le chemin est encore long. Je suis toujours aussi râleur et chiant. Mais j’avance vers moi-même et vers les autres.” L’assemblée applaudit. La compagne de Patrick se lève et prend la parole. “Je confirme. Il est toujours aussi râleur et chiant. Mais il se remet en question: ça bouge.”
Frère et initié
Christian, un autre “frère”, lui aussi, nouvellement “initié” (certains termes utilisés sont communs avec la franc-maçonnerie, on parle également “d’égrégore”), s’avance, à son tour, devant l’assemblée. “Moi, les groupes d’hommes, ça m’est naturel. Parce que, depuis toujours, je suis gay.” Christian, 55 ans, aborde l’esprit universaliste de MKP qui étend son projet “par-delà les différences d’identité sexuelle, d’origine ethnique et sociale”. Emmanuelle, responsable de Sacrée Femme!, le pendant féminin de MKP abondera dans le même sens et défendra le “principe de non-mixité choisie” permettant d’approfondir la confiance et l’intimité. Applaudissements. Gilles, fin de la trentaine, témoigne à son tour. “J’avais très peur parce que je ne savais pas ce qui m’attendait. Mais c’est ce qui m’a intéressé: ne pas savoir ce qui allait se passer pour que le mental ne reprenne pas le dessus. J’ai été confronté à beaucoup d’émotions. Moi, je voulais travailler sur les émotions.” Applaudissements. La soirée continue et se finira exactement sur le même ton. On apprendra qu’un système de supervision des groupes d’initiation a été mis en place en interne de manière à contrôler qu’une partie du mouvement ne tombe pas dans une forme de sectarisme. Un seul mystère demeurera: ce qui se passe vraiment durant l’initiation.
L’avis d’un vieux guerrier belge
Celle-ci fait couler beaucoup d’encre. On peut lire notamment dans la note du Ciaosn, le Centre belge d’information et d’avis sur les organisations sectaires nuisibles, qu’elle se base sur “diverses épreuves physiques et émotionnelles rudes” (la note du Ciaosn est descriptive et ne qualifie pas l’association de “secte”). Selon l’Unadfi, les participants doivent “renoncer à leurs papiers, leur argent, les clés de leur voiture, immédiatement confisqués dès leur arrivée. Leurs noms sont effacés au profit de numéros qui les désigneront. Les nuits ne durent pas plus de 4 à 5 heures et la nourriture se limite à quelques bols de raisins secs et d’amandes pendant plus de 40 heures.”
Un groupe en non-mixité est vu forcément comme une attaque du sexe opposé.
Gautier Hankenne, l’un des “leaders” des “frères” de MKP Belgique restera évasif. “Si vous allez voir un film, ce serait dommage qu’on vous le raconte avant…” René Beguin, 82 ans, initié belge ne témoignera pas en détail de ce qui s’y passe. “Mais, pendant le week-end d’initiation, on demande régulièrement à chacun s’il a des limitations physiques qu’il faut respecter. C’est vrai qu’il peut y avoir de la fatigue ou des moments plus éprouvants, mais le respect, la bienveillance et l’écoute sont au cœur des initiations.”
L’homme avancera la raison pour laquelle MKP est taxée de viriliste ou masculiniste. “Actuellement, dès qu’un groupe se constitue en non-mixité, c’est forcément vu comme une attaque du sexe opposé”, se désole-t-il. Comme l’habit ne ferait pas le moine, l’armure ne ferait pas le guerrier.
Un masculinisme peut en cacher un autre

L’influenceur Andrew Tate, arrêté et emprisonné en Roumanie. © BelgaImage
Si le “masculinisme” prêché par le ManKind Project semble relativement inoffensif, il en est d’autres bien plus violents et problématiques.
L'anthropologue française Mélanie Gourarier, chercheuse au CNRS, rappelait que l’essence du masculinisme était “le rétablissement d’une société imaginaire reposant sur une dominance totale des valeurs masculines”. Et que ce masculinisme pouvait se décliner de façon radicale. La radicalité la plus connue du masculinisme est aussi la plus violente. Il s’agit du mouvement “incel” (de “involutary celibacy”, célibat involontaire). Les incels sont un groupe d’hommes prônant la haine des femmes, qu’ils considèrent non seulement comme inaccessibles mais également incapables. Les auteurs d’attentats misogynes comme Elliot Rodger, qui a tué sept personnes et blessé quatorze autres en 2014, et Alek Minassian, qui a fait 10 morts et seize blessés dans une attaque à la voiture-bélier à Toronto en 2018, se revendiquaient tous les deux du mouvement incel. Plus récemment, l’influenceur masculiniste Andrew Tate - “Je pense que les femmes appartiennent aux hommes, voilà tout” - a été, en décembre dernier, emprisonné en Roumanie dans le cadre d’une enquête ouverte pour viol, trafic d’êtres humains et constitution d’un groupe criminel organisé.