

Plus de deux tiers des Belges n’ont plus confiance en la politique. Ce phénomène pointé par un récent sondage Ipsos daté d’avril 2023 n’est pas vraiment nouveau. Déjà en 2018, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) indiquait que seulement 44,1 % des personnes interrogées gardaient foi dans nos assemblées.
Lors des dernières élections, en 2018 et 2019, personne ne s’est alors étonné de voir apparaître dans des tas de programmes de Belgique francophone, deux mots magiques: participation citoyenne. Une tentative des élus et candidats de renouer des liens avec la population en lui promettant de prendre certaines décisions non pas pour elle, mais avec elle. Même si le concept a plus séduit à gauche qu’à droite, à l’échelle locale, il s’est retrouvé sur des listes de tous horizons. “Il y a clairement eu un effet de mode, commente Pierre-Étienne Vandamme, chercheur en philosophie politique à la KULeuven. Certains partis ont lancé le mouvement et les autres n’ont pas voulu les laisser s’approprier la thématique. Tout le monde s’en est réclamé avec l’enjeu de donner le sentiment d’écouter la population.”
Et tant mieux finalement! Bien mené, un projet de participation citoyenne peut permettre à ceux qui y prennent part de mieux intégrer les réalités de la prise de décision, de se sentir entendus par les élus, et utiles, de voir ce qui n’était qu’une idée se concrétiser et prendre vie. Pour les politiques, c’est aussi bénéfique pour leur image que pour découvrir les sujets dont se préoccupent réellement leurs concitoyens.
L’ASBL G1000, qui milite pour plus de démocratie citoyenne en Belgique, note depuis les dernières élections des avancées à tous les niveaux de pouvoir. “On le voit encore aujourd’hui au Parlement wallon avec les nouvelles commissions délibératives qui permettent à des citoyens tirés au sort de délibérer avec les députés”, donne en exemple Ben Eersels, coordinateur de l’ASBL.
On est souvent dans une forme d’instrumentalisation de la participation citoyenne pour donner une meilleure image à sa liste ou à son parti.
À l’échelle locale, les exemples sont légion: conseils consultatifs, budgets participatifs, commissions locales thématiques… Certaines entités ont même consacré un échevinat à la participation citoyenne. Des villes comme Etterbeek ou Charleroi, par exemple, ont développé beaucoup de structures et d’outils en ce sens.
Malheureusement, il arrive que les initiatives censées intégrer la population ne soient que des tentatives d’enfumage, de la poudre aux yeux. “Même s’il s’agit parfois de vraies convictions de la part de certains élus, la tendance dominante montre qu’on est souvent dans une forme d’instrumentalisation de la participation citoyenne pour donner une meilleure image à sa liste ou à son parti, explique Pierre-Étienne Vandamme. On se retrouve alors avec des processus qui ont très peu d’impact, qui créent de la frustration et de la déception chez les participants, qui y ont consacré du temps et de la bonne volonté.”
Parmi les mauvais exemples selon lui: les panels citoyens qui sondent la population sur un choix déjà entériné par l’autorité et sur lequel elle ne compte pas revenir. “Pour la 5G à Bruxelles, la décision avait été prise. Certains avis ont pu faire bouger certaines marges, modifier quelques détails, mais pas la décision centrale. On s’est servi du panel citoyen pour légitimer quelque chose qui était déjà déterminé”, détaille-t-il.
En effet, il est essentiel que l’expérience des participants soit positive, ne serait-ce que pour pérenniser le processus participatif. Par exemple, Olivier habite Etterbeek depuis 21 ans. Il a rejoint un conseil de quartier il y a trois ans et compte bien poursuivre “cette bonne expérience”. Avec le budget attribué par la Ville, une rue sera verdurisée à l’initiative des riverains. “J’ai apprécié la démarche de pouvoir m’impliquer dans la commune et le fait d’avoir été tiré au sort malgré ma nationalité française. Donner la possibilité au citoyen d’avoir un impact, ce n’est pas rien. Puis les séances de travail sont très bien animées et coordonnées”, raconte-t-il. Il s’attendait à voir plus de participants et regrette un manque d’informations par rapport au champ d’action du comité ou aux mesures déjà prises par le Collège. Mais rien qui n’entache “cette bonne expérience” qu’il compte bien poursuivre.
Mais une trop grande différence entre les attentes et le vécu peut mener à la désillusion. Comme chez cette autre Etterbeekoise, qui a aussi participé à un conseil de quartier. Bien qu’elle ait trouvé l’initiative “géniale” et salue “la gestion par les facilitateurs externes”, elle fait part d’un sentiment d’avoir “travaillé dans le vide”. “La majeure partie des projets proposés ont été refusés. C’est toujours “non’’ et souvent avec un manque de retour ou de justification.”
D’après cette riveraine, certaines suggestions de projets ont été reprises par la majorité politique à son propre compte. “Bien que nous soyons tous apolitiques, on a l’impression d’être au cœur de querelles entre les partis de la majorité communale. On est tous déçus de cette injustice.” Pour les spécialistes, il existe plusieurs critères de qualité particulièrement importants sur lesquels la plupart des projets de participations citoyennes en Belgique devraient s’améliorer. Et en quelque sorte, la différence entre ces deux récits illustre assez bien le premier point d’attention.
Pour un processus efficace, il est recommandé d’avoir des balises nettement définies. Le citoyen doit connaître les limites de son champ d’action et le monde politique doit faire des garanties et s’y tenir. Une sorte de contrat entre parties. “Le mandat doit être clair dès le début. Les initiateurs doivent détailler le processus étape par étape, s’engager à étudier chaque projet, chaque recommandation, et ensuite faire un suivi quand c’est accepté, ou nuancer ou justifier quand il y a un refus”, explique Ben Eersels.
L’autre point essentiel est de veiller à la représentativité. Aujourd’hui, lorsqu’une opération de participation citoyenne se déroule sous forme d’appel à projets ou sur base volontaire, les mêmes profils s’y retrouvent à chaque fois. “Des retraités, des militants, des personnes avec des intérêts politiques ou des idées à défendre, énumère Pierre-Étienne Vandamme. Cela n’est pas représentatif de la population.”
On retrouve de plus en plus de systèmes d’invitations aléatoires, mais ça ne suffit pas. “On fait alors face au même problème, mais différemment. Certaines catégories de citoyens sont plus susceptibles d’accepter. Pour plus de représentativité, le mieux est de combiner tirage au sort et quota, afin de s’assurer un nombre suffisant d’hommes et de femmes, différents niveaux d’éducations…”
Malgré ces conseils pour progresser, notre pays n’a pas à se cacher en matière de la participation citoyenne. “Tout le monde ne le sait pas encore, mais la Belgique devient petit à petit un des leaders dans le domaine en Europe, insiste Ben Eersels. Cela ne veut pas dire que tous les projets y sont bons pour autant, mais c’est important de le souligner: pour l’avenir, on n’a pas uniquement besoin de plus d’opérations de participation citoyenne, mais surtout de meilleurs projets et processus.”
Des citoyens ont déjà fait aboutir des mesures, notamment pour l’école inclusive. © Bürgerdialog / Catherine Keutgen
Depuis septembre 2019, un dialogue régulier entre la population germanophone et son gouvernement a été instauré. Concrètement, un conseil permanent de 25 citoyens tirés au sort choisit des thématiques à aborder sur base des propositions de la population. Une fois un sujet défini, une assemblée d’autres citoyens sélectionnés aléatoirement se réunit, discute de la problématique et délibère pour émettre une série de recommandations au gouvernement germanophone. Celles-ci sont présentées publiquement au Parlement, débattues et ensuite, ministres et députés émettent un avis officiel. Un an plus tard, ces derniers doivent détailler le suivi de la mise en œuvre des recommandations. Aujourd’hui, le processus a déjà mené à des mesures concrètes dans les domaines de l’inclusivité à l’école ou de l’accès aux professions médicales. “Il s’agit d’une initiative assez unique en Europe de par son institutionnalisation, son aspect permanent et son souci de représentativité. C’est comme si on avait créé une deuxième chambre qui collabore avec le Parlement, commente Pierre-Étienne Vandamme de la KULeuven. C’est assez bien pensé et les autres assemblées pourraient tout à fait s’en inspirer.”