
Ce que devient l'argent récolté par la Loterie nationale : "Ce n'est pas seulement un jeu d'argent"

Depuis décembre, les Belges ont de la chance… Ils ont remporté trois jackpots de l’EuroMillions, ce qui n’arrive pratiquement jamais. “Lors de ces périodes particulièrement vernies, les joueurs sont un peu plus nombreux”, commente le CEO de la Loterie nationale Jannie Haek. Il s’en félicite, car les mises permettent de financer des projets importants. L’entreprise publique vient notamment de lancer un appel à projets “Développement durable” avec une enveloppe de 2,25 millions d’euros. Chaque organisation sans but lucratif ou fondation peut obtenir jusqu’à 25.000 euros. “La Loterie nationale n’est pas seulement un jeu d’argent, c’est un instrument de crowdfunding inventé avant la tendance”, pose le CEO. De leurs côtés, les Belges joueraient surtout pour le loisir, pour le suspense, en sachant qu’ils ne gagneront pas le gros lot. “Le succès est basé sur la chance et lorsque la chance est avec nous, il faut l’apprécier et se montrer reconnaissant. Au Lotto comme ailleurs”, établit enfin Jannie Haek.
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Les habitudes de jeux ont-elles été impactées par la crise du pouvoir d’achat?
Jannie Haek - Oui. Au cours de l’année écoulée, les Belges ont joué avec prudence. En 2022, la mise moyenne était de 4,90 €. En 2021, ce montant était de 5,10 €. La crise du pouvoir d’achat a induit une baisse de la mise moyenne de 20 centimes. Sur base des 89 ans d’expérience de la Loterie nationale, on peut affirmer qu’il existe une corrélation directe entre la conjoncture et les comportements des ménages.
Les Belges ne misent donc pas sur la chance pour sortir la tête de l’eau en temps de crise?
Ce n’est pas le cas, car ce n’est pas la motivation de nos participants. Les Belges jouent à la Loterie nationale comme ils laissent un pourboire au restaurant. C’est un fonds perdu, une dépense superfétatoire, une somme dont le ménage n’a pas besoin. Notre modèle est basé sur un grand nombre de joueurs qui misent de petits montants. En période de crise, ils jouent par conséquent un peu moins.
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Qui sont les joueurs?
Selon nos études de marché, toutes les classes socio-économiques de la population sont représentées sauf le tout premier décile et le tout dernier, c’est-à-dire les personnes les plus défavorisées financièrement qui n’ont pas un euro pour une dépense superflue et les plus aisés qui regardent ces jeux un peu de haut, avec un certain dédain, voire du mépris. Parmi ces derniers, nombreux sont convaincus que la réussite dans la vie est basée sur le mérite uniquement.

Jannie Haek de la Loterie Nationale. © PhotoNews
Selon vous, réussir sa vie, c’est de la chance ou du mérite?
Les personnes qui n’atteignent pas leurs objectifs ou leurs rêves parlent souvent de malchance. Ceux qui réussissent évoquent plus volontiers leurs initiatives, leur travail, leur mérite. Cela est valable dans les secteurs de l’économie, de l’entreprise, de la politique, des artistes. Bien sûr, dans la vie, il faut travailler, investir du temps, de l’énergie pour atteindre des objectifs. Cependant, si on est un peu sérieux, il faut admettre qu’une grande partie de la réussite dans la vie dépend de la chance. Dans quelle famille êtes-vous né? Avec quelle couleur de peau? Avec quels gènes? Est-ce qu’on aura eu un peu de chance ou de la malchance pendant sa carrière? Est-ce qu’on tombera malade? C’est vrai aussi pour l’amour… Est-ce que vous rencontrez la personne qui vous convient? Est-ce que vous serez bien entouré? C’est pourquoi, selon moi, les élites devraient admettre qu’ils ont eu un peu de chance et que ceux qui ne réussissent pas ne sont pas forcément stupides ou fainéants. En acceptant cette réalité, on accepte le besoin de solidarité entre ceux qui ont eu de la chance et ceux qui en ont moins.
Vous décrivez la Loterie… Un système basé sur la chance qui finance des projets de solidarité.
En effet, l’argent des mises sert à financer divers projets de solidarité sociale, de développement durable, des projets culturels, des actions pour la bonne cause. La Loterie nationale accompagne de nombreuses équipes nationales de sport (volley, hockey, basketball, etc.), le Comité olympique, Bozar, soit des institutions qui pourraient tomber, sans financement dans un pays complexe. Je voudrais également évoquer Bednet. Cette initiative permet d’accompagner des élèves malades qui ne peuvent pas se rendre à l’école pendant une longue période. Dans ce cas-là, la Loterie est le premier soutien financier jusqu’à ce que d’autres acteurs prennent le relais. Elle permet de combler des trous, de financer ce qui ne le serait pas par ailleurs.
Malgré tout, la Loterie place l’argent au cœur du succès.
Je n’ai jamais songé à cette réflexion. La Loterie nationale serait un symbole d’argent? Je ne crois pas. Au contraire, c’est plutôt l’inverse. Selon moi, elle est associée à des projets qui améliorent la société. Elle montre que connaître un succès ne vaut rien s’il n’est pas partagé d’une manière ou d’une autre. Elle crée beaucoup de diversité, de tolérance, d’innovation. Je voudrais rappeler l’origine de la loterie moderne. Elle a été inventée à Bruges en 1441. On ne peut pas dire que le Moyen Âge était une société de l’argent. Il s’agissait déjà d’un événement public qui permettait aux citoyens de miser de modiques sommes en échange de prix par tirage au sort. Tout bénéfice était versé à des bonnes œuvres… Le jeu a été pensé pour ces bonnes œuvres. Son essence est encore celle-là.
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Certaines études établissent un risque d’addiction aux jeux d’argent. Êtes-vous conscient de cette problématique?
Nous défendons des valeurs de durabilité. À mon avis, la durabilité est fortement liée à l’équilibre. Une activité qui n’a que des effets néfastes ne peut pas être durable au niveau sociétal. Si les jeux de la Loterie nationale existent depuis 89 ans et sont pratiqués depuis des siècles à Bruges, ce n’est pas une coïncidence. Cela signifie qu’il existe une plus-value sociétale. Je ne parle pas de toutes les formes de jeux de hasard et d’argent. La législation qui contraint la libre initiative d’entreprendre dans ce secteur est pour moi une bonne chose. Le fait que l’État crée un monopole sous son contrôle pour garder cet équilibre est tout à fait souhaitable. Lorsque certains mettent la Loterie nationale dans le même panier que d’autres types jeux, c’est malhonnête.
Il n’empêche que le risque d’assuétude peut exister.
L’État fait tout pour amener la population vers des jeux moins risqués afin de protéger les joueurs. Nous avons le devoir de les respecter. Bien sûr, nous faisons du marketing et de la publicité, car le public doit être mis au courant de l’existence de nos produits. Nous avons évidemment conscience de cette problématique et souhaitons que ce débat des risques soit mieux objectivé. La Loterie va financer dès la prochaine rentrée académique une chaire consacrée à l’addiction à l’UMons. L’objectif est, au-delà des études psychologiques existantes, de mesurer le risque lié aux différents types de jeux de façon très concrète. L’objectif est de créer les conditions pour mener un débat de société rationnel, sans émotion ni lobbying.