Jean-Claude Defossé : "Je serai toujours un fouille-merde"

Jean-Claude Defossé, l’ancien trublion de la RTBF, a décidé de livrer ses souvenirs dans un livre: Mémoires d’un âne. On l’a retrouvé, un pinceau à la main, peignant des œuvres satiriques.

L’ancien journaliste de la RTBF exerce désormais sa verve comme peintre. © JC Guillaume

Le drapeau arc-en-ciel, cher à la communauté LGBT, claque à tous vents dans son jardin. Mais Jean-Claude Defossé, ancien vétéran de la RTBF, se rebiffe d’entrée de jeu. “Je suis 100 % hétéro. C’est le symbole de la paix, le mien. C’est écrit dessus.” Avec ses pinceaux, il tourne en dérision toutes les religions et des tableaux célèbres comme ceux de Léonard de Vinci ou Félicien Rops. Dans le hall d’entrée, il a posé une galerie de femmes talibanes exerçant tous les métiers du monde. C’est une profusion de papes, imams, rabbins et de nichons qui peuple ce qu’il nomme l’antre de l’ours. Si on regarde de plus près, on aperçoit aussi quelques photos de famille, dont celle de sa fabuleuse rencontre avec Churchill aux côtés de son frère Josy Dubié, tous deux hauts comme trois pommes. Sa maison de campagne du Brabant wallon est sa caverne. On aperçoit au loin chevaux et vaches. Dans la cheminée, le feu de bois crépite.

Nos dernières vidéos
La lecture de votre article continue ci-dessous

Vous venez de gagner le procès d’une affaire qui vous a poursuivi…
Jean-Claude Defossé -
En effet. À 67 ans, j’avais réalisé une séquence sur un préfet d’athénée à Rochefort qui dévergondait des gamines en les faisant lutter entre elles topless. C’était filmé sur des cassettes et il invitait de vieux cochons à venir se rincer l’œil. Il vendait ça sur Internet. Et quand on venait assister à un match, dans un local à part, on pouvait faire une lutte avec des filles dont certaines mineures. Quand j’ai appris ça, j’ai fait une séquence au picrate. Très vite, on a perquisitionné chez le préfet qui, lui, a déposé plainte. J’ai été jugé deux fois. La première fois par Manuella Cadelli, féministe de gauche, qui m’a condamné en prétextant treize fois qu’il fallait se mettre à la place de quelqu’un qu’on traitait de pédophile. Pas une fois, je n’ai dit ça. J’ai été recondamné en appel à Liège où on a estimé que mon travail avait été bien fait mais que le ton n’était pas acceptable.

Le ton, c’est votre marque de fabrique?
Oui, mais si on s’autorise à juger le ton, le Canard enchaîné, Charlie Hebdo ou Pan sont condamnables. Ce qui compte, c’est de ne pas raconter des carabistouilles. La RTBF était heureusement derrière moi. On est allé à Strasbourg. Entre-temps, ce préfet a été condamné à 18 mois de prison et 59.000 euros de remboursement des cochonneries qu’il avait vendues. Et si la peine a été aussi légère, c’est parce que le délai a été déraisonnable. C’est un grand must en Belgique. Serge Kubla, qui vient d’être condamné, a aussi bénéficié d’un délai déraisonnable.

Vous étiez féministe avant l’heure?
Mais oui. Pour une raison très simple: je n’ai qu’une fille. Je ne supporterais pas qu’on lui fasse du mal.

Beaucoup de femmes vous ont marqué…
Oui, mais je ne parle pas de toutes les femmes qui m’ont marqué. (Il se marre.) J’ai trouvé ça trop personnel.

Cette histoire de préfet, c’est votre seul ennui avec la justice?
Oui. Sinon, on écrasait. Je vais peut-être être prétentieux mais je n’ai jamais raconté des couillonnades. Je pouvais tout prouver. J’ai une éthique. C’est trop facile quand on est journaliste de salir quelqu’un. Je viens d’entendre quelque chose qui m’a ému: maître Hirsch défendait Franco Dragone qui a été sali pendant dix ans et qui a été acquitté de tout deux semaines après sa mort. Vous imaginez? Moi, j’ai 82 ans et j’aurais dû statistiquement être mort aussi avant d’être acquitté.

Defossé

Dans son atelier, Jean-Claude Defossé caricature toutes les religions et leurs abus, comme l’Église orthodoxe dans le conflit ukrainien. © JC Guillaume

Le titre de votre livre, Mémoires d’un âne, c’est pour Schaerbeek, la cité des ânes?
C’est un jeu de mot. Parce que j’ai aussi été un vrai cancre. J’ai eu énormément de chance dans ma vie, notamment quand j’ai réussi l’examen de la RTBF. J’ai mis cinq ans pour réussir mes premières années d’humanité, puis j’ai été à l’académie des Beaux-Arts. Je n’y faisais rien. J’ai couru les filles, j’ai fait des tas de conneries.

À la RTBF, on vous dit: alors comme ça, on est artiste et on veut devenir journaliste…
Il n’y avait rien de tel pour m’émoustiller. J’ai ensuite découvert un métier qui m’allait comme un gant et qui m’a passionné. Je n’ai plus jamais été travailler. J’ai été m’amuser.

Vous avez imposé votre atypisme au point de devenir people…
(Il se marre.) People! C’est un compliment? J’avais une force. J’ai connu des journalistes extrêmement brillants, dix fois plus malins et cultivés que moi. Mais dans une télévision généraliste, on a le devoir de s’adresser à la fois à des gens très modestes comme aux profs d’unif. Il y avait des journalistes qui parlaient exclusivement aux profs d’unif. Sur Arte, on peut se permettre d’être plus pointu. Mais à la RTBF, c’est un peu comme les antibiotiques à large spectre. Or, quand je pige quelque chose, je le restitue de façon à ce que tout le monde le comprenne.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée des Travaux inutiles?
Le hasard. C’était un dimanche, on ne savait pas quoi mettre au JT. J’ouvre le Belang van Limbourg et je vois qu’en Flandre il y a le smeerpeip, littéralement la pipe à merde, un énorme pipeline construit entre Genk et Anvers. Ce truc avait coûté 7 milliards de francs belges et ne fonctionnait pas. J’ai fait un truc délirant là-dessus. Et puis, quand je suis sur place, je vois un grand pont métallique où passent des vélos mais pas de bagnoles. Il avait coûté 300 millions mais le plan de secteur avait entre-temps changé. J’ai découvert que quand on s’intéresse à quelque chose, on trouve. Ça a été pareil pour le quart-monde. J’ai été à la fin des marchés rencontrer les malheureux qui ramassaient les restes de légumes. Je revendique de ne pas être seulement le comique troupier. J’ai fait des émissions très sérieuses sur l’extrême droite, par exemple.

Pour les Travaux inutiles, vous vous êtes mis en scène…
Oui, je ne voulais pas que ce soit chiant. Donc j’ai construit des petites histoires. Au départ, je voulais prendre un comédien qui s’appellerait “Monsieur Gaspi”. Mais ça coûtait cher. Alors j’ai joué moi-même le “Monsieur Gaspi”. Et je me suis pris au jeu. J’aime bien me déguiser parce que j’ai fait de la figuration à la Monnaie. Et puis, ça s’est emballé. Mais j’ai toujours dit que si j’étais allé chez Bouygues, le plus grand constructeur du monde, sur TF1, je n’aurais pas duré une semaine sans être mis à la porte. À l’époque, Michel Polac faisait Droit de réponse. C’était un anarchiste. La chaîne est privatisée. Il décide faire un débat sur le pont qui devait être construit par Bouygues à l’île de Ré. C’était une magouille. Il a été foutu à la porte. Moi, je bénis la RTBF qui m’a suivi dans mes délires. Mais c’étaient des délires prouvés.

Qu’est-ce qui vous a pris d’aller un jour en politique?
J’avais 68 ans. Je présentais le magazine Question à la une. Mais un jour, la direction a décidé que j’étais ringard. Au même moment, Écolo m’a proposé d’être sur sa liste. Par bravade, j’ai dit oui. J’ai fait l’imbécile et j’ai franchi le Rubicon. La politique, ce n’était pas fait pour moi. Moi, je serai toujours un fouille-merde, alors que quand on est dans une majorité on doit applaudir tout ce qui se passe. Si j’avais été dans l’opposition, j’aurais été un redoutable parlementaire.

Pourquoi être resté cinq ans alors?
Pour défendre la liberté de la presse. Il y avait à l’époque pas moins de septante-cinq journalistes qui étaient emprisonnés en Turquie. J’ai pondu une proposition de résolution pour les soutenir. Je pensais que ça passerait comme une couque. Le PS, qui ne voulait pas déplaire à ses électeurs d’origine turque, a décidé de ne pas signer. Même chose au cdH. Je propose d’aller sur place en Turquie avec une délégation. On vote à nouveau contre. J’ai fini par y aller avec André Dubus qui était cdH et une FDF. Sur place, j’ai fait des dessins de presse. Ceci pour vous dire que ça m’a dégoûté de la politique. Pendant cinq ans, on n’a jamais voté ma résolution. J’en ai eu les larmes aux yeux. Les calculs électoraux et le communautarisme gangrènent les partis, surtout à Bruxelles. J’aurais dû le savoir. J’ai fait une connerie.

Débat
Sur le même sujet
Plus d'actualité