Exploitation sexuelle des mineurs : "C’est largement sous-estimé"

Près de 1.700 mineurs seraient exploités à des fins sexuelles chez nous. Une prostitution d’autant plus invisible qu’elle se déroule aussi désormais en ligne.

mineurs victimes de violences sexuelles
Les victimes sont de plus en plus jeunes, le plus souvent de 12 à 16 ans, parfois moins. © BelgaImage

Bah, je devais coucher, dit-elle. J’étais en fugue, il nous a donné à manger”. Elle est mineure. Elle a vendu son corps pour un repas. Mais elle n’en est pas vraiment consciente. Cette banalisation de la prostitution, ces mineurs qui ont l’impression de contrôler leurs pratiques, rend l’accompagnement du phénomène particulièrement compliqué. Un prof témoigne d’élèves qui se prostituent de manière “décomplexée” pour se fournir en vêtements et smartphone dans des milieux précaires. Le drame, c’est que l’exploitation sexuelle des mineurs est un phénomène qui prolifère dans le plus grand silence. Et pour cause. Les acteurs de terrain se sentent mal outillés et ont d’ailleurs du mal à repérer ce qui se passe. Tous ces abus passent entre les mailles de tous les filets de notre société. C’est ce que démontre une enquête menée par ECPAT, avec le soutien de DEI (Défense des Enfants International - Belgique), le mouvement pour les droits de l’enfant.

On dispose de très peu de chiffres. Les statistiques officielles ne reprennent en gros que les condamnations. Des chiffres viennent parfois de manière éparse des associations. Mais il n’y a au total rien d’homogène”, explique Emmanuelle Vacher, experte chez DEI et ECPAT-Belgique. Si on extrapole les chiffres recensés en France de 15.000 mineurs qui se sont ouvertement déclarés comme étant dans les mailles de la prostitution, on peut considérer que 1.680 mineurs sont dans le cas en Belgique. Cela ne tient pas compte de ceux qui se taisent par honte, par peur ou par déni. “C’est largement sous-estimé. C’est caché.

À l’autopsie, auprès des acteurs de terrain, la terminologie officielle “de traite des êtres humains” fait barrage. Mais si on leur parle d’attitude prostitutionnelle, les langues se délient. “Cette exploitation sexuelle a toujours existé mais l’accès en est aujourd’hui facilité via les réseaux sociaux. Les nouvelles technologies ont augmenté les cas. Le Covid n’a pas aidé. Les mineurs sont des victimes faciles à manipuler et recherchées. Il suffit de voir que les mots-clés les plus recherchés sur les sites pornos sont “teenager” ou “young”, décrypte l’experte. Du côté de la police, on admet que, durant le Covid, le problème principal a été le développement de contenus pédopornographiques. “Tellement de jeunes ont été livrés à eux-mêmes. L’accès au Net était le seul truc qui leur restait, dont diffuser et vendre des photos ou vidéos”, rapporte-t-on du côté de la police. Snapchat, Instagram et TikTok sont autant de terrains de jeux pour des lover boys qui séduisent des mineurs et les entraînent ensuite dans la prostitution. D’autres ados, de plus en plus jeunes - le plus souvent de 12 à 16 ans, mais on trouve des victimes dès l’âge de 11 ans - entrent dans la prostitution avec l’idée que ça rapporte et que c’est facile, sans se rendre compte qu’ils sont abusés. Si ce sont plus souvent les filles qui sont exploitées, il n’y a pas de profil type. “Les garçons et les mineurs LGBTQIA + ne sont probablement pas assez détectés”, affirme le DEI.

Mineurs belges

À l’occasion de son enquête, DEI interpelle les politiques “pour qu’ils se rendent compte”. “On n’a pas les bons outils pour aider ces mineurs. Nous demandons qu’il y ait une cohérence entre les niveaux de pouvoir pour qu’ils reçoivent une protection, plaide Emmanuelle Vacher. Il faut une meilleure collaboration entre les services de terrain, la police, l’aide à la jeunesse, la justice. Il faut de vrais chiffres et rendre la procédure en justice plus accessible. Il faut aussi créer des procédures spécifiques pour les mineurs belges victimes, parce que l’intérêt d’obtenir un titre de séjour en dénonçant leur proxénète n’existe pas pour eux.”

Mineurs en exil

La Belgique dispose d’une procédure “traite des êtres humains” pour les mineurs en exil qui sont des proies d’une extrême vulnérabilité. La procédure prévoit un suivi psycho-médical, un suivi juridique et accorde un statut au mineur pour séjourner en Belgique. Mais cette protection est assortie de trois conditions qu’il est difficile de remplir. Le mineur doit accepter d’être hébergé en milieu fermé, il doit collaborer avec les autorités et dénoncer ses proxénètes. “Or les proxénètes sont souvent les seules personnes qu’ils connaissent en Belgique et ce sont parfois des membres de leur propre famille. Cela rend les choses particulièrement difficiles pour ces mineurs”, signale Emmanuelle Vacher. À peine une dizaine de cas par an sont répertoriés.

Mineurs philippins

Des Européens commanditent des viols en ligne d’enfants philippins, contraints et abusés par leurs propres parents ou par leur famille. Une réalité glaçante révélée par une enquête du quotidien Le Monde. Il n’est pas exclu que des commanditaires de viols d’enfants en ligne soient belges. Il s’agit d’actes sexuels pédocriminels particulièrement sordides menés sur de très jeunes enfants et regardés en ligne et en direct par des Européens. Les familles en tirent des revenus. Le phénomène est apparu en 2012 et est en pleine expansion. On signale huit fois plus de cas aux Philippines que dans d’autres pays “producteurs” connus comme le Brésil, le Mexique ou l’Inde.

Le chiffre

Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, dans les pays à haut revenu, 72 % des cas d’exploitation de mineurs seraient des cas d’exploitation sexuelle.

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