Procès des attentats de Bruxelles : pourquoi le procès du siècle est un flop

À quelques jours de l’anniversaire des attentats de Bruxelles, on est allé assister au “procès du siècle”. Une expérience instructive, pleine d’émotions et de tragédies. Mais qui ne parvient pas à masquer une organisation surréaliste…

procès des attentats de Bruxelles
Justitia, la cour d’assises installée sur l’ancienne base de l’Otan, est surdimensionnée. © BelgaImage

Un jeudi, 8h50, à Justitia, la cour d’assises installée sur l’ancienne base de l’Otan, à Bruxelles. Sept ans après les attentats. Trois mois après le début de leur procès. On n’attend pas longtemps au check point qui vérifie que les véhicules ne contiennent pas d’armes ou d’explosifs. Un berger malinois renifle l’intérieur de la voiture. C’est rapide, cordial, pas question tout de même de caresser la bête, nous prévient le maître-chien d’un rapide avertissement. Le parking “presse” se trouve à 20 mètres. Il peut contenir 180 voitures, il y a 177 ­places libres. Encore une fouille. On a croisé des dizaines de policiers et d’agents de sécurité. Personne d’autre. Les portes de la salle de presse s’ouvrent automatiquement. Elle est impressionnante. Six rangées de bureaux pouvant accueillir une centaine de journalistes sont inoccupés. Les dossiers des ­chaises reposent sur les tables comme dans une cafétéria qu’on ferme pour la nuit. La deuxième salle réservée à la presse qui retransmet les images du ­tribunal en direct a des dimensions de supermarché. Mais vide. “C’est comme si le procès s’était dissous dans le maelström de l’actualité, relève le juge Hennart, le responsable de la communication du procès. Et en même temps il y a quelque chose de naturel: le procès a repris ses dimensions normales. J’ai longtemps milité pour qu’on n’organise pas un show, un “procès du siècle”. Parce que ce procès est en quelque sorte du réchauffé. Mais l’argument pour dimensionner les assises dans cette ancienne base militaire s’appuyait sur le grand nombre attendu de victimes et de parties civiles.” Le juge se désole que son point de vue n’ait pas été retenu.

Nous voilà à devoir faire des kilomètres dans des couloirs vides…

Huit salles d’audience dont sept fermées

On comprend les regrets du magistrat, en découvrant la salle d’audience “Popelin 1” (Marie Popelin est la première femme docteure en droit de ­Belgique). Mille mètres carrés dont le célèbre box vitré des accusés qui a retardé le procès pendant des semaines parce qu’il a fallu le reconstruire. Le groupe de personnes le plus important qui occupe la salle est celui des jurés. Le public est clairsemé. Moins de dix ­journalistes. Neuf ou dix policiers. La cour: cinq juges, deux procureurs menés par la présidente ­Massart. En début d’audience, une partie des accusés, Abdeslam en 3e position, se lèvent et quittent la salle. La présidente relève à peine. Une habitude. Un avocat des parties civiles salue la mémoire de Me Sébastien Courtoy, disparu il y a quelques jours. Il vient d’être remplacé par une consœur, ce qui a ­permis après une semaine de congé et trois jours de suspension de reprendre les débats. On en est aux commentaires et observations des parties à propos des auditions des juges d’instruction et des enquêteurs. Ils ont parfois été entendus des semaines auparavant. “Oui, souvenez-vous, Mesdames et Messieurs, membres du jury. Je sais, c’était il y a longtemps…

On ressent, soudain, une empathie teintée d’admiration pour les jurés - avec les suppléants, ils sont actuellement 31 - qui depuis trois mois écoutent les enquêtes. Les avocats des parties civiles puis ceux de la défense essaient tour à tour d’éclairer certaines ­parties de l’enquête qui pourraient faire balancer l’intime conviction des jurés vers la culpabilité ou l’innocence des accusés. Dans une relative indifférence du public parmi lequel les “cordons rouges” (les victimes ne souhaitant pas communiquer) qui sont peu nombreux et les “cordons verts” (les victimes qui souhaitent communiquer), encore moins. Le propos est très technique. C’est la pause de midi. On rejoint, à 400 mètres, la salle de restaurant. On remarque d’autres “Popelin”. Deux, trois, quatre, jusqu’à huit. “Vous vous rendez compte, il y a sept autres salles d’audience avec écrans géants. L’une d’entre elles est aussi grande que la salle d’audience principale. Toutes fermées!”, peste un avocat des parties civiles. On rivalise de sourires pour bénéficier des sandwiches en rab. Car il faut ­commander sa nourriture avant 10 heures sous peine d’être servi le lendemain. Le jambon- crudités de trop devient soudainement très prisé.

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La salle de presse pouvant accueillir une centaine de journalistes est le plus souvent inoccupée. © Gauthier De Bock

Après trois mois, le procès débute enfin

Lundi, le premier jour consacré aux victimes. Les voitures sur le parking presse sont plus nombreuses: sept. Une forme de familiarité s’installe avec certains membres de la sécurité. L’un d’entre eux plaisante sur sa récente prise de poids. “Je suis ici depuis octobre et honnêtement, combien j’ai pris? Huit kilos.” On entend l’hélicoptère de la gendarmerie faire sa patrouille matinale au-dessus du tribunal. La matinée est consacrée à l’écoute des médecins spécialisés dans la revalidation et les soins ORL. Et d’une ­psychiatre qui explique le panel des traumas psychologiques que peut provoquer l’explosion d’une bombe. Un catalogue de chagrins. Et de bribes d’horreur: acouphènes, viscosité du sang, odeur de chair brûlée… Et les problèmes financiers, les ­couples qui se séparent, la culpabilité des enfants, les victimes qui perdent leur emploi. Les jurés interviennent et font préciser certaines notions. Le gros morceau, c’est pour l’après-midi.

La première victime de ce procès sera auditionnée. Les vingt places réservées à la presse de la salle “Popelin 1” sont occupées. Une première depuis longtemps. Le procès s’apprête-t-il à décoller? ­Béatrice Lasnier de Lavalette, 17 ans à l’époque. ­Athlète professionnelle. Chaise roulante, les deux jambes amputées. Un témoignage hallucinant en anglais, traduit par une équipe d’interprètes. “L’obscurité et puis le corps qui se soulève du sol.” Jambes à angle droit. Une voisine avec les cheveux en feu. Puis un “triage”: Béatrice a été considérée comme ayant peu de chances de survie et n’a pas bénéficié tout de suite de soins sur place. Médecine de guerre. Un coma d’un mois. Puis le réveil. On montre des photos où l’on peine à reconnaître une forme humaine. La jeune fille a désormais 24 ans et est membre de l’équipe paralympique américaine d’équitation. Une vie brisée et une reconstruction. Le choc et l’émoi sont perceptibles dans le regard de l’assistance, un policier se sèche le coin de l’œil. “La séance est suspendue.” C’est la fin de la journée. Mais trois mois après son commencement, le procès semble réellement débuter.

“On est là pour vous”

Cette deuxième journée de témoignages confirme cette impression de nouveau départ. L’assistance est bien plus importante, le nombre des caméras aussi. Seul Abdeslam rejoint le cellulaire. Un long silence. On attend que la deuxième victime arrive. Elle vient d’Inde et s’exprime en anglais. Elle a fait le voyage parce que pour elle, c’est une histoire “very important to close”. La présidente de la cour d’assises présente les différents protagonistes du procès à l’ex-hôtesse de l’air. Fantastique job de la part de Laurence ­Massart, pleine de bienveillance et d’humanité.

Si ce procès trouve une utilité, c’est dans la fonction réparatrice qu’il remplit par rapport aux victimes qui viennent témoigner.

L’ancienne hôtesse, au visage encore marqué par les éclats de la deuxième explosion du 22 mars 2016, raconte. Et c’est le même film qui commence mais d’un autre point de vue. Celui d’une mère de famille, de quelqu’un qui s’apprêtait à travailler, de quelqu’un qui a vécu la première déflagration de très loin mais la deuxième de tout près. Une femme tellement brûlée que les secouristes la croyaient de peau noire. Sept ans plus tard, le récit d’un voyage infernal se déroule. Vingt-trois jours de coma. Les claviers des journalistes crépitent. Et comme pour la victime précédente et les suivantes, l’histoire de survie et de souffrance va réanimer, dans l’opinion publique, l’existence du procès. Cependant pas suffisamment pour que les autres “Popelin”, les salles d’audience annexes, soient mises à contribution pour accueillir un sursaut d’affluence. “Si ce procès trouve une utilité, c’est dans la fonction réparatrice qu’il remplit par rapport aux victimes qui viennent témoigner, constate une employée de l’assistance aux victimes. Cette parole qui se délie devant le tribunal permet de se libérer un peu de ses traumas et de ses douleurs.” La remarquable - on ne le souligne pas assez - présidente ­Massart aura ce mot qui résume tout. S’adressant à une victime terrassée par l’émotion: “Prenez votre temps, madame, on est là pour vous”. Réparer un peu, adoucir le deuil, c’est la vertu première du “procès du siècle”. Mais quel gâchis de moyens. Le taux d’occupation des parkings, des salles, des réfectoires, des chaises ou des tables se situe entre 3 et 15 %. ­Comment est-ce possible d’être à ce point à côté de la plaque? Qui est la cheville ouvrière de ce flop?

Du surréalisme à 35 millions d’euros

Cédric Milambo, le porte-parole du SPF Justice nous informera que l’estimation des besoins en ­termes d’infrastructure a été réalisée par une task force. Et que celle-ci était “composée de fonctionnaires du SPF Justice et de représentants de la magistrature, tant de la direction générale que du ministère public. Ultérieurement, des représentants des services de sécurité ont également été ajoutés à la task force”. Comment ces besoins ont-ils été estimés? ”Nous ne pourrons pas donner de suite positive à votre demande d’interview à ce sujet.” Heureusement, le juge ­Hennart, qui était président du tribunal de première instance à l’époque des travaux de cette task force, avait été consulté. “Les choses ont été dimensionnées pour accueillir les mille victimes des attentats de Bruxelles. C’est ce nombre qui a été retenu et qui a été, en quelque sorte, l’échelle de ce procès. Mais selon moi, une erreur a été commise. Nul ne s’est enquis du nombre de victimes qui voulaient assister au procès. On aurait pu procéder à un discret sondage. Or, la réalité est que les jours d’affluence et leur nombre ne dépassent pas les vingt. La presse internationale s’en est rapidement aperçue et, unanimement, a constaté l’écart “surréaliste” et “typiquement belge” entre la taille de l’infrastructure et le public qu’elle accueillait.” La presse étrangère a très vite, elle aussi, déserté les lieux. D’autant qu’ils ne poussent guère à la discussion et à l’échange. Cette ancienne base militaire est “hors de la cité” et n’a rien à voir avec la fonction sociogéographique d’un palais de justice qui doit “inviter” les citoyens à venir assister aux audiences. “Cet isolement a, sans nul doute, participé à ce que les victimes ne viennent pas et à ce que le public s’abstienne d’assister aux audiences. Il ne fait pas de doute, pour moi, qu’il aurait fallu organiser ce procès dans le palais de justice de Bruxelles, place Poelaert.” Un ténor du barreau soulignera que cette solution aurait eu au moins le mérite de financer, en partie, les 35 premiers millions nécessaires à la rénovation du palais. Les 35 millions dépensés pour l’installation de cette cour d’assises Justitia dans cette ancienne base ­militaire disparaîtront lorsque l’École européenne ­prendra possession des lieux à la fin du procès…

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