
Journée des droits des femmes : le 8 mars et l’épuisement des militantes féministes

«Ce matin le chien a bouffé les céréales des enfants sur la table basse et je me suis effondrée en larmes. Mon fils m’a dit : c’est normal maman, c’est le 8 mars. Cette date est devenue pour moi et beaucoup d’autres un énorme trigger. (…)Les sollicitations infernales. Les chiffres des féminicides martelés partout pendant 24h, oubliés demain. Et la culpabilité. Immense. Et la honte. Infinie. Du coup, j’ai envie de vous dire, à vous toustes qui savez, à vous toustes qui essayez, ce que j’ai besoin d’entendre ce matin : tu fais de ton mieux. Force à nous». Voilà ce qu’écrivait en 2021 Lauren Bastide, créatrice du podcast féministe La Poudre.
Très loin d’une «fête de la femme», le 8 mars, journée internationale de lutte pour le droit des femmes, est en effet pour beaucoup de militantes, LE moment de faire entendre leur voix, alors que l’attention médiatique est généralement nettement moins portée sur le combat contre les inégalités de genre (ou sur les violences faites aux femmes) le reste de l’année.
À l'envie de profiter au maximum de cette courte fenêtre de tir peut s’opposer la volonté de faire grève totalement. Donc «de souffler, de reprendre des forces, de mettre de côté la charge mentale et émotionnelle mais aussi, si on le désire, de se tenir pendant 24 heures loin du travail militant», nous explique Barbara Dupont, chercheuse en communication (UCLouvain/IHECS), et auteure D’où, un blog et un compte Instagram en forme de «délestage de coups de gueule féministes au gré de l'actu sexiste».
«Le 8 mars, c’est donc un moment assez ambivalent, mais qui peut être quand même très nourrissant, avec plein de rencontres avec des victimes du patriarcat, d’échanges autour de nos conditions communes», ajoute la chercheuse.
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Un travail d'activiste, les 363 autres jours de l'année aussi
Il y a deux ans, Barbara Dupont partageait sur Instagram sa lassitude lors d’un autre moment «dédié», soit le 25 novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. «Dur de trouver quelque chose à dire, qui ait du sens». Alors, «Je me tais. Allez pas croire que je m’en fous. Allez pas croire que j’ai rien à vous dire. Allez surtout pas croire que je pense pas à vous, à nous. Je fais que ça», écrivait-elle.
Au-delà des dates du 8 mars et du 25 novembre, les posts de Lauren Bastide et de Barbara Dupont reflétaient la fatigue, le découragement voire l’épuisement qui peuvent aussi toucher les militantes dans leur travail d’activiste, les 363 autres jours de l’année. Car, comme le souligne Barbara Dupont, le militantisme, même non-rémunéré, reste un travail.
«Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’au-delà du relai d’une parole, de la colère, de témoignages, il y a tout un travail argumentatif, de recherche de sources, d’études… Tout cela prend du temps, de l’énergie, cadre-t-elle. Sans parler des coups qu’il faut sans cesse encaisser, des insultes, de l’agressivité».
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Or qui dit travail, dit, parfois, burn-out. Ces dernières années, les cas de ce qui est parfois appelé «burn-out militant» se sont multipliés, notamment au sein des réseaux féministes.
"Traumatisme par procuration"
En 2019, la Française Anaïs Bourdet a annoncé la fin de Paye ta Shnek, un Tumblr qui a recensé en sept ans d’innombrables témoignages de femmes victimes de harcèlement de rue. «Je n’ai pas ou plus les épaules, je suis épuisée et, honnêtement, terrorisée (...) Je n’arrive plus à lire vos témoignages et à les digérer en plus des violences que je vis dès que je mets le pied dehors. La colère que j’ai accumulée en presque 7 ans me bouffe et me pousse à réagir quasi systématiquement, et la plupart du temps, ça ne fait qu’envenimer la situation», témoignait-elle.
La même année, le collectif Féministes contre le cyberharcèlement jetait aussi l’éponge. L’association mettait fin à sa prise en charge de l’accompagnement des victimes de cyber-violences, dénonçant le manque de moyens, et regrettant l’épuisement de ses membres.
Sans même parler du harcèlement sur les réseaux sociaux, les militantes peuvent expérimenter un traumatisme vicariant, ou «traumatisme par procuration». «Le traumatisme vicariant, c'est le fait d'être exposé de façon continue à des situations de violence très importante et d'injustices, inhumaines, face auxquelles on se sent impuissant», expliquait pour Slate.fr Muriel Salmona, psychiatre psychotraumatologue et présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie. Souvent de manière bénévole, elles se retrouvent à prendre en charge à elles-seules des tâches qui nécessitent normalement différents profils (médecin, psychologue, policier, avocat, etc.).
#PayeTonBurnOutMilitant : je lis les tweets des copines. Envie de leur faire des énormes hug de soutien.
Je n’ai pas envie de raconter mes craquages de fatigue, de tristesse ou de désespoir, trop triste.
Je veux plutôt raconter comment, depuis 1 an, j’évite le #BurnOutMilitant ⤵️— Caroline De Haas (@carolinedehaas) July 12, 2019
Aux Etats-Unis, le phénomène du burn-out militant est une réalité bien identifiée par les ONG, et pris en compte lors de la formation des salariés ou des bénévoles. En France, Caroline de Haas avait listé sur Twitter une série de conseils pour éviter, en tant que militante féministe, de se sentir «submergée devant l’ampleur des violences».
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