Un train sur dix est en retard : la SNCB est-elle le pire réseau d'Europe ?

Un train sur dix ne démarre pas à l’horaire annoncé. Même si le gouvernement, la SNCB et Infrabel proposent des solutions inédites pour les dix prochaines années, de nombreux navetteurs n’y croient plus. Aux acteurs du rail de les rassurer.

La SNCB est la responsable directe d’un tiers des retards, notamment à cause de son infrastructure vieillissante. © PhotoNews

Lorsque j’ai un rendez-vous important, je suis obligé de prendre un train plus tôt si je veux être sûr d’arriver à l’heure.” Gery Baele est secrétaire et porte-parole de l’ASBL Navetteurs.be. Il y gère les plaintes des travailleurs et des étudiants mécontents. Lui-même usager du rail depuis son enfance, le retraité n’a pas besoin de statistiques pour le constater: les trains sont trop souvent en retard ou carrément supprimés. “Il y a toujours eu des problèmes et il y en aura toujours. Les choses ne s’améliorent pas. Cela pousse certains à privilégier un véhicule individuel”, assène-t-il.

Les chiffres de la ponctualité sont catastrophiques. L’an dernier, un train sur dix (10,8 %) n’a pas démarré à l’heure. Cette donnée, alerte Gery Baele, ne prend pas en considération les trajets supprimés, soit près de 4 % des locomotives. “D’autres arrivent à l’heure en gare, mais avec la moitié des voitures annoncées. Parfois, elles sont ­tellement pleines que les navetteurs ne peuvent pas monter et doivent attendre le train suivant.

Pourquoi ?

Les causes sont connues. Les premiers respon­sables (40,8 % des retards) sont les fauteurs de troubles et les autres motifs dits “externes”. Par exemple, les intrusions sur les voies et les vols de câbles, les heurts de personnes lors d’accidents, divers actes de malveillance et de dégradation de matériel, une mauvaise météo.

De son côté, la SNCB est à l’origine d’un tiers des retards (34,8 %). “Nous sommes conscients que la situation a été compliquée ces derniers temps pour les voyageurs. Nous constatons que les pannes sont en augmentation, et nous analysons la situation pour trouver une solution structurelle au plus vite”, rassure la porte-parole de l’opérateur ferroviaire Élisa Roux. Le matériel de la SNCB est vieillissant et son renouvellement prend plus de temps que prévu. Sur les 445 nouvelles voitures M7 à double étage commandées fin 2015, l’entreprise publique n’en a reçu que 220 du constructeur Alstom. Une autre réception initialement planifiée fin 2021 a été reportée fin 2023. La dernière commande de M7 ne devrait pas être honorée avant 2026. En attendant, d’anciens trains roulent toujours malgré leur manque de fiabilité.

 

Le gestionnaire des infrastructures Infrabel est le troisième grand responsable (20,2 %). Comme pour la SNCB, les défauts techniques apparaissent trop régulièrement. À titre d’exemples, selon Infrabel, plus d’un cinquième des revêtements des passages à niveau, des aiguillages en voie principale et des caténaires, mais aussi un dixième des voies princi­pales et 3.000 kilomètres de câbles de fibre optique doivent être remplacés, mais ne le sont pas. “Le vieillissement de l’infrastructure ne remet pas en cause la sécurité car les installations sont contrôlées”, rassure Jessica Nibelle, porte-parole d’Infrabel. Qui compare le réseau à une vieille voiture. “Si vous l’entretenez soigneusement, elle continuera de bien rouler, mais elle roulera moins vite qu’une voiture neuve.

trains de la sncb

La SNCB est la responsable directe d’un tiers des retards, notamment à cause de son infrastructure vieillissante. © PhotoNews

Gand-Bruxelles, le bonne élève

Toutes les lignes ne sont pas logées à la même enseigne. Frédéric de Kemmeter, observateur ­ferroviaire depuis trente ans et fondateur du site mediarail.be a identifié des différences. Ainsi, résume-t-il, certaines lignes sont peu sujettes aux incidents et par conséquent au retard comme la ligne Gand-Bruxelles. Elles ne contiennent pas ou peu de passages à niveau et de gares intermédiaires. En outre, des ouvrages peuvent avoir été menés pour garantir une pente quasi nulle.

À l’inverse, d’autres lignes font plus facilement l’objet d’éléments perturbateurs comme entre Mons et Quiévrain ou Bruxelles et Ath. ”Pour ­comparer les lignes, il est donc essentiel de comparer les éléments de contexte et d’environnement. S’il y a une légère côte, un passage à niveau, un talus… Cela impacte le risque de retard”, conclut l’expert.

Le problème de ponctualité ne se résorbe pas d’année après année, surtout sur les lignes moins favorables. Le gouvernement a une grande part de responsabilité puisque le secteur du chemin de fer, tant du côté d’Infrabel que de la SNCB, a essuyé un important désinvestissement au cours des vingt dernières années. Il a conduit à un décalage important entre la croissance du nombre de voyageurs et l’augmentation de l’offre, de sa performance et du nombre de cheminots.

Jamais dans le haut du classement européen

Une enquête de la Plateforme européenne des gestionnaires d’infrastructure ferroviaire est allée jusqu’à considérer la ponctualité sur le rail belge comme étant la moins performante du continent, devant l’Italie, en 2019. Dans toutes les ­études menées depuis une décennie, la Belgique est souvent un peu mieux placée, mais reste dans la seconde moitié du tableau. La Suisse et les pays nordiques, Pays-Bas compris, sont ceux qui s’en sortent le mieux.

Frédéric de Kemmeter, expert indépendant, compare sur son site mediarail.be les différents réseaux du monde. Selon lui, la plupart connaissent des difficultés similaires à celles de la Belgique comme la vétusté du matériel, le manque de personnel, les coupures budgétaires, les intrusions sur les voies… Alors pourquoi les trains belges sont en retard? “Le montant des investissements ne fait pas la qualité du réseau. Dans le nord de l’Europe par exemple, les chemins de fer se modernisent plus rapidement, utilisent la digitalisation à bon escient. Cela les rend plus efficaces.” Par contre, précise-t-il, il n’y aurait pas de rapport évident entre le prix du billet et la qualité du service, ni entre la qualité du gestionnaire du rail (totalement privé comme au Japon ou public comme en Belgique) et la ponctualité.

Enfin un déclic?

Un plan d’investissements 2023-2032 et les contrats de gestion de la SNCB et d’Infrabel ont été validés. “Il y aura clairement un avant et un après pour le rail et pour notre mobilité en Belgique”, va jusqu’à déclarer le ministre de tutelle Georges Gilkinet. Il est vrai qu’ils sont ambitieux et prévoient une hausse des budgets (+ 8,9 %). Outre le renouvellement du matériel, une amélioration de l’offre en soirée et en matinée et une politique tarifaire plus attractive, diverses actions concrètes sont menées en faveur de la ponctualité. La SNCB compte embaucher 1.600 personnes en 2023 pour remplacer les travailleurs sur le départ et combler le manque dans certaines professions comme les accompagnateurs. Selon la loi belge en effet, un train ne peut rouler sans accompagnateur, bien que le conducteur soit à son poste, ce qui cause actuellement de nombreuses ­suppressions de trains.

Grillages, blocs de béton, tapis anti-intrusions et caméras… De son côté, Infrabel se concentre sur la sécurisation des 49 zones qui comptent le plus grand nombre d’intrusions sur les voies. Plus de la moitié (57 %) des “hotspots” sont à ce jour sécurisés.

Parole, parole, parole

En outre, Infrabel a développé des kits pédago­giques axés sur la sécurité ferroviaire pour les écoles. La sensibilisation passe aussi par la répression contre les intrusions sur les voies ou les vols de câbles. “La sensibilisation est nécessaire, mais elle ne fera pas oublier les besoins d’investissements dans le matériel de la SNCB et d’Infrabel, réagit Gery Baele. Au fil des années, j’ai vécu de promesses en promesses. Alors j’attends de voir ce que ce plan donnera après les élections, lorsque le gouvernement sera renouvelé.

Frédéric de Kemmeter préfère voir le verre à moitié plein. “Des efforts sont réalisés et la digitalisation du réseau avance, ce qui devrait permettre de mieux anticiper les problèmes techniques grâce à des capteurs. Au final, on finira par ne pas être si mal loti au niveau du chemin de fer belge.” Pourvu qu’il ait raison.

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