

À chaque semaine, sa victime. La dernière en date est une jeune policière de 21 ans de la zone Bruxelles/Ixelles agressée dans le commissariat central de la police fédérale. Là où, quelques semaines auparavant, une mère de famille était retrouvée morte dans une cellule après avoir été arrêtée par des policiers communaux. Les images de bodycams de policiers d’un passage à tabac dans un commissariat de Liège. Celles de caillassages de policiers lors de la nuit de la Saint-Sylvestre. La photo de l’inspecteur Thomas Monjoie, tué à coups de couteau lors d’une patrouille près de la Gare du Nord à Bruxelles. Job compliqué que celui de policier qui doit protéger, se protéger et être irréprochable dans la proportionnalité de la violence qu’il exerce. Tout comme le job de bourgmestre, qui marche sur le fil tendu entre la nécessité de protéger les citoyens et le soutien qu’il doit porter à ”sa” police.
“Ma fonction de police me prend largement la moitié du temps et de la pression de mon mandat de bourgmestre, reconnaît Christos Doulkeridis, à la tête de la commune d’Ixelles depuis bientôt cinq ans. Pourtant, lorsque vous accédez à la fonction de bourgmestre, en la matière, il n’y a rien. Pour toutes les autres compétences - état civil, population, innovation citoyenne … -, vous avez une administration qui vous supporte et vous donne des informations sur les problématiques. En matière de police, pas. Zéro. La commune n’a aucune mémoire du travail de police que doit exercer le bourgmestre. En plus, comme c’est une compétence personnelle et pas collégiale, il n’y a personne pour vous éclairer. Du jour au lendemain, vous devenez le chef de la police, mais vous la découvrez sur le tas.” Et le job commence par la première réunion hebdomadaire du collège de police qui réunit le chef de corps, fonctionnaire qui assure le secrétariat, et des bourgmestres de la zone. La zone Ixelles étant jointe à celle de Bruxelles, les responsables de la police Ixelles-Bruxelles sont donc les bourgmestres Christos Doulkeridis et Philippe Close.
“Il y a une série de lois qui encadrent les rôles de bourgmestre et de chef de corps de la police zonale, poursuit Doulkeridis. Mais c’est à vous de créer la relation dépendante des policiers qui sont là. Et la police - comme l’armée - fonctionne comme un corps: des uniformes et une culture d’appartenance. Quand vous ne faites pas partie du corps, pour se faire accepter, ce n’est pas évident. Il y a une évolution ces dernières années, et on est un peu sorti de ça… Je suis leur responsable, mais soyons honnêtes, le chef des policiers, c’est le chef de corps, pas le bourgmestre. La loyauté des responsables est cependant là. Entre loyauté et confiance, il y a une différence. J’en suis actuellement à croire qu’une confiance s’est installée avec le chef de corps.” Christos Doulkeridis a été député et ministre. Il ne cache pas son attachement particulier au mandat de bourgmestre, une “fonction 360°” qui offre un constat de l’action politique sur de nombreux domaines de la vie en société. Son attribution de police lui permet, en plus, d’avoir une photographie de la commune.
“Je reçois tous les matins un message Whatsapp de la police qui m’informe de ce qui s’est passé la nuit: violences intrafamiliales, trafic, vols, agressions. Aucun autre mandat ne vous fournit cette photographie-là. Cela permet de déceler des problématiques sous-jacentes: logements insalubres, traite d’êtres humains, problèmes sanitaires…” Côté positif: une vue globale. Côté négatif: cette même vue globale qui met la pression sur l’action mayorale. Et puis, parfois, il y a les dysfonctionnements ou ce qui y ressemble. “Comme le décès dans cette cellule de Sourour au petit matin, évoque le bourgmestre. Moi, ça me bouffe car au-delà du drame qu’est la mort d’une personne, cela vous plonge dans des abysses de questions: “qu’est-ce qu’on aurait dû faire?”, “qu’est-ce qu’on pouvait faire?”, “les critiques sont-elles justes?”, “qu’est-ce qu’on doit changer?”...” Comment se passent, dans de tels cas, les rapports du bourgmestre avec la police? ”
"J’ai été prévenu par téléphone par le chef de corps… Il y a deux limites. D’une part, vous n’êtes que le chef administratif et vous pouvez donner des injonctions positives mais jamais négatives. D’autre part, en cas d’incident grave, il y a une limite qui s’impose vite: celle de la justice. Dès qu’il y a une enquête, c’est terminé: le secret professionnel fait que vous n’avez plus accès aux informations. En revanche, la famille, elle, s’adresse au bourgmestre. Et mes réponses ne sont pas forcément à la hauteur des attentes…”
Des limites perçues de la même façon, à quelques nuances près, par Philippe Close, le bourgmestre de Bruxelles. “La police a deux patrons - le bourgmestre pour la police administrative et le parquet pour la police judiciaire. C’est normal en termes de séparation des pouvoirs, mais ça peut être complexe. Comme dans le drame de cette mère de famille retrouvée morte dans une cellule. On n’est pas forcément au courant de tout. Cela dépend des rapports que vous entretenez avec le parquet. Pour ce qui est de la gestion quotidienne, tout n’est pas écrit dans la loi. Dans le colloque singulier qu’il y a entre le chef de corps et son bourgmestre, c’est vrai qu’il y a une relation très particulière - un rapport de confiance très fort - notamment pour tout ce qui est maintien de l’ordre.”
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Comment s’organise-t-on dès lors? “Avec mille manifestations par an, c’est un enjeu important pour Bruxelles. Lorsqu’il s’agit de mettre un terme à des débordements ou de veiller à ce que ceux-ci ne dégénèrent pas en des violences plus graves, il y a un intérêt à ce que bourgmestre et chef de corps soient sur la même ligne.” Une communauté d’esprit qui ne régnait pas lors du mandat du prédécesseur de Philippe Close. Ex-bourgmestre de Bruxelles, Yvan Mayeur, qui n’a pas souhaité pleinement s’exprimer, nous a fait savoir que, selon lui, la volonté qu’il avait eue de vouloir imposer des caméras au sein des commissariats de police de la zone de Bruxelles et de féminiser les cadres lui avait valu une bronca de la part du chef de corps en place (qui n’est plus en fonction actuellement). Une mésentente qui avait eu de fâcheuses répercussions lors d’une manifestation au cours de laquelle des policiers avaient été blessés car - c’est un euphémisme - bourgmestre et chef de corps n’étaient pas sur “une même ligne”.
Au deuxième étage du commissariat de la rue Natalis à Liège, l’ambiance est au beau fixe. Les problèmes d’ordre public n’ont pas déserté la ville, mais ils sont réglés de manière proactive. Un modèle importé du Québec sur la résolution de conflit. Le nouveau chef de corps, le commissaire divisionnaire, Jean-Marc Demelenne et le bourgmestre Willy Demeyer concluent, ce matin, une réunion avec une délégation des habitants du quartier de Grivegnée qui sont venus exposer un problème de sécurité routière. Le bureau du chef de corps vient d’être fraîchement repeint. Christian Beaupère, son prédécesseur a pris sa retraite il y a trois mois…
“Je suis informé de ce qui se passe en matière de sécurité dans la métropole liégeoise par mes groupes Whatsapp et mes abonnements Twitter, précise Willy Demeyer, bourgmestre depuis 23 ans. Mais pour tout ce qui est important, j’ai un contact direct avec le chef de corps. Jusque maintenant, chaque fois que j’ai appelé Monsieur Demelenne, j’ai eu une réponse instantanée. J’accorde beaucoup d’attention aux tâches de police car la police, c’est la base de la démocratie. Idéalement, on devrait pouvoir s’en passer, mais on ne vit pas dans un idéal. Avec Monsieur Demelenne, nous avons une haute idée de ce que doit être une force de police. Ces terribles images de bodycams ne nous ont pas fait plaisir. Au-delà du fait que ces actes ne sont pas tolérables et ne sont pas représentatifs du travail de la police liégeoise, ils peuvent provoquer des problèmes dans toutes les relations que les policiers ont avec les citoyens.”
Le commissaire divisionnaire Demelenne signalera qu’aucune répercussion de ce type, pour l’instant, n’est à déplorer. “Nous avons écrit avec le bourgmestre un communiqué qui a rassuré les administrés mais qui a également fait la part des choses vis-à-vis de ce que doivent parfois encaisser nos policiers.” Willy Demeyer opinera. Et dira à quel point la relation qui lie un bourgmestre à son chef de corps est “intuitu personae”. Une connexion particulière garante de leur bien-être respectif et - surtout - de celui de la population…