Est-ce que la Belgique pèse dans le milieu de l'Intelligence Artificielle ?

Notre pays aimerait peser dans le milieu du savoir généré par ordinateur. Initiatives et synergies sont déjà nombreuses mais la Silicon Valley wallonne est encore loin.

La Belgique, terre d'IA ? ©BelgaImage
La Belgique, terre d’IA ? ©BelgaImage

Derrière les spectaculaires innovations du secteur de l’intelligence artificielle, toujours les mêmes, toujours américains: Google, Microsoft, Facebook, mais aussi OpenAI, “ASBL” de recherche américaine pesant plusieurs milliards et comptant Elon Musk parmi ses fondateurs. C’est que pour développer des applications aussi super-performantes, il faut les ressources: du personnel pour la recherche et le développement, une puissance informatique colossale, une quantité phénoménale de données et, forcément, les millions de dollars pour financer tout ça, notamment la facture énergétique.

Cette hégémonie des GAFA n’est pas entièrement mauvaise. La majorité du temps, leurs découvertes et avancées sont dévoilées et rendues disponibles au grand public. C’est bon pour leur image et attire les meilleurs profils, mais cela permet également à la recherche mondiale de se baser sur leurs innovations pour continuer à progresser. Les universités n’ont évidemment pas les mêmes moyens.

Waar is da feestje?

Mais chez nous? Un petit pays comme la Belgique n’aurait pas les capacités de se positionner comme un acteur majeur dans le domaine? Côté fédéral, le secrétaire d’État à la Digitalisation, Mathieu Michel (MR), a présenté en octobre son “Plan national de convergence pour le développement de l’IA”. Il comporte neuf objectifs, parmi lesquels “garantir la cybersécurité”, “renforcer la compétitivité et l’attractivité de la Belgique” ou encore “fournir aux citoyens de meilleurs services et une meilleure protection”.

De belles intentions, mais pas grand-chose de plus puisque quatre mois plus tard, aucun budget n’a encore été annoncé. Au moins, une structure existe désormais pour réunir tous les acteurs du secteur, veiller à ce que les intelligences artificielles deviennent un sujet majeur en Belgique et “positionner la Belgique dans le paysage européen de l’IA”: AI 4 Belgium. Selon ses derniers chiffres, 439 entreprises ont fait de ces technologies leur core business ou s’en servent intensément dans le cadre de leurs activités. On note immédiatement un déséquilibre puisque 255 sont en Flandre, contre 88 à Bruxelles et 94 en Wallonie.

“La capacité d’investissement est plus importante en Flandre, commente Thierry Dutoit, professeur à l’UMons. Il y a plus de moyens disponibles pour financer les PME actives dans le secteur et moins de frilosité des investisseurs. J’ai l’impression qu’en Wallonie, on est plus conservateurs et on vise surtout le retour sur investissement.” Malgré la présence de quelques gros acteurs (dont Proximus notamment), ces sociétés sont surtout de petites start-up et PME. Certaines développent des produits qui utilisent l’IA qu’ils tentent de vendre, souvent à d’autres business, en Belgique ou à l’international.

Phoenix IA, basée à Péruwelz, s’est dernièrement rendue au CES Las Vegas, le salon de l’innovation, pour présenter ses “caméras intelligentes”, qui peuvent, par exemple, surveiller le stationnement ou détecter des dépôts sauvages de déchets. D’autres, comme Sagacify ou Euranova, jouent plutôt un rôle de consultant et vont aider les entreprises, quelles qu’elles soient, à résoudre une problématique, à améliorer une procédure, en développant pour elles des intelligences artificielles adaptées.

OuftiGPT

Mais les entreprises, qu’elles utilisent l’IA ou en aient fait leur fonds de commerce, pourraient être bien plus nombreuses. En Wallonie, le programme DigitalWallonia4.ai “cherche à mettre en relations bénéficiaires (entreprises, pouvoirs publics…) et fournisseurs de solutions, afin de les inviter à passer le cap”, décrit Antoine Hublet, chef de projet IA pour l’Agence du numérique (ADN). “On est vraiment dans le cadre de la stratégie régionale de Digital Wallonia, de sensibilisation et d’accompagnement.”

Un mouvement qui a déjà porté ses fruits: en 2020, 3 % des entreprises wallonnes avaient démarré des projets en IA, aujourd’hui, elles sont 7 %, plus du double. De quoi pousser la Région à continuer d’investir, avec notamment un soutien financier de 20 millions d’euros pour la période 2022-2024. Dans le secteur des intelligences artificielles en Belgique, l’autre pôle majeur est bien entendu celui de la recherche. La Belgique n’a pas à rougir dans le domaine. “En termes de capacité à résoudre des problèmes, notre écosystème est très bon. Il va continuer à mûrir, mais ne devrait pas se développer beaucoup plus”, indique Thierry Dutoit.

Ce dernier est également l’actuel président du comité de pilotage de Trusted AI Labs ou TRAIL, un programme de soutien industriel qui chercher à bâtir des ponts entre les universités et centres de recherche francophones et les entreprises. Avec des structures comme cette dernière et celles citées plus tôt, tous les acteurs du petit milieu de l’intelligence artificielle belge et francophone se connaissent, ce qui facilite désormais coopérations et collaborations.

Mine d’or

On peut notamment souligner le projet ARIAC (Applications et Recherche pour une Intelligence Artificielle de Confiance), fruit d’une convention entre la Wallonie, le programme TRAIL et DigitalWallonia4.ai. Il s’agit d’un projet de recherche d’un budget de 32 millions d’euros permettant à une soixantaine de chercheurs de travailler pendant six ans. Leur objectif: développer des outils utilisant les IA qui soutiendront et feront avancer l’industrie wallonne, et plus particulièrement dans certains secteurs, comme la santé, la mobilité ou l’industrie manufacturière.

Mais évidemment le tissu belge peut encore faire mieux. Certes, il ne pourra pas rivaliser avec la surpuissance des GAFA, mais elle peut tout de même tirer son épingle du jeu. “Nous n’avons pas autant de données qu’eux, mais nous sommes tout de même assis sur quelques mines d’or que nous devrions exploiter, notamment du côté des données médicales ou de nos administrations. Cela nous permettrait de passer d’algorithmes généraux à des applications très pratiques”, affirme Thierry Dutoit.

Antoine Hublet, de l’ADN, va dans le même sens. “La Belgique doit pouvoir se distinguer par ses entreprises et sa recherche. Elle peut être reconnue à l’échelle européenne pour son expertise dans certains domaines. Cela permettra à nos acteurs de conquérir d’autres marchés, mais aussi de stimuler l’intérêt pour le secteur à l’échelle locale.

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