Super League : Le foot est mort, vive le foot-business

Les réseaux sociaux sont formels, personne ne veut de cette nouvelle Super League réservée à l'élite. Pourtant, elle s'annonce de plus en plus concrète.

©Belga

C'est bien le comble pour l'UEFA de se faire couper l'herbe sous le pied. Ce lundi, elle devait entériner la réforme de la Champions League, basée sur un championnat à 36 clubs, où chaque équipe jouerait dix matchs (cinq à domicile, cinq à l'extérieur). Les huit premiers iraient en huitième, les autres se battraient en barrage pour les rejoindre ou pour être versés en Europa League. Bref, un truc assez surréaliste censé bétonner la place des clubs du Top 5 (Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne et France) et laisser les miettes aux autres pays. Une réforme déjà fondamentalement inégalitaire imaginée pour calmer les ardeurs séparatistes des grands clubs européens.

Qu'à cela ne tienne, douze de ces clubs ont décidé de doubler l'UEFA ce matin, annonçant l'officialisation de cette fameuse Super League. Une Arlésienne vieille de vingt ans que l'on pensait impossible. Mais le Real Madrid, le FC Barcelone, l’Atlético, l’Inter, l’AC Milan, la Juventus, Manchester City, Manchester United, Arsenal, Liverpool, Chelsea et Tottenham devraient bien se rejoindre pour fonder The Super League. Dans leurs plans, vingt clubs s'affronteront en semaine (coucou la Champions League) et en aller-retour, à travers deux poules de dix. De là sortiront quatre équipes qui se retrouveront pour des play-offs là aussi en aller-retour, pour une finale prévue à la fin du mois de mai (recoucou la Champions League). La tenue des matchs en semaine permettrait à ces clubs de continuer à squatter leur championnat national. Une présence domestique probablement considérée comme un cadeau de leur part à leur fédération, eux désormais trop beaux, trop gros pour se contenter d'affronter West Ham, Villareal ou l'Udinese. Pourtant, Tottenham, Chelsea ou l'Atlético sont certes des grands clubs, mais ils ne le sont que parce qu'ils sont riches. Historiquement, Anderlecht, l'Ajax ou Séville n'ont rien à envier à leur palmarès européen.

Quoi qu'il en soit, l'UEFA et la FIFA font dans leur pantalon face à ce risque de plus en plus réel de perdre la mainmise sur l'organisation et la gestion des compétitions. Alors ils ont dégainé l'artillerie lourde : exclusion de toute compétition nationale ou européenne. Pire, les joueurs de ces clubs (soit les meilleurs du monde) ne pourront plus prendre part aux compétitions organisées par l'UEFA ou la FIFA. C'est là que réside la menace la plus concrète et celle qui donne le plus d'espoir aux nombreux anti-Super League.

3,5 milliards

Outre le nombre de matchs à caser dans un calendrier déjà embouteillé, le problème est bien sûr le gouffre sans fond qui se creuse entre les clubs à taille humaine (pour peu qu'il en reste) et les entreprises valant plusieurs milliards. Le terrain n'est plus qu'un prétexte pour faire du profit. Preuve ultime de ce cynisme : le premier argument cité dans le communiqué officiel de la création de la Super League. "La création de cette nouvelle Ligue se produit alors que la pandémie mondiale a accéléré l’instabilité du modèle actuel du football européen. [...] La pandémie a révélé qu’une vision stratégique et une approche commerciale sont nécessaires pour accroître la valeur et les bénéfices de la pyramide du football dans son intégralité." Les douze clubs fondateurs n'ont même pas vraiment essayé d'enrober leur annonce d'un minimum de pommade sur les bienfaits en matière de spectacle, de niveau, d'accessibilité... Non, le Covid a mis à mal leurs finances, il faut remplir les caisses. Ils l'assument. Les clubs fondateurs devraient d'ailleurs recevoir un premier versement total de 3,5 milliards d'euros. Ah, et bel effort, la promesse d'investir dans le foot féminin une fois que tout sera bien mis en place chez les hommes. Histoire de pourrir le seul aspect du foot encore un peu préservé du business.

Seule vérité que l'on peut reconnaitre à ces réformateurs, l'attrait en baisse chez les jeunes. En effet, les fans de foot ne seraient plus que 30% parmi les jeunes européens et du coup, les audiences baissent. Récupérer de l'audimat alors que les droits télés se comptent aujourd'hui en milliard, voilà l'enjeu. Mais quand l'UEFA, la FIFA ou les gros clubs veulent augmenter et banaliser les affrontements entre mastodontes, ils ne cherchent pas l'audience des supporters mais celle des fans du dimanche. On prend le pari : si un club tchèque, ukrainien ou autrichien atteignait le dernier carré d'une Ligue des Champions pour le moment inaccessible, les audiences exploseraient en Tchéquie, en Ukraine ou en Autriche. Si Anderlecht, Bruges ou le Standard pouvaient renouer, ne serait-ce qu'une année, avec leur faste passé, il y aurait des écrans géants sur les places belges aux alentours du mois de mai. Rien n'est donc pensé pour renforcer les liens distendus avec les vrais amoureux du ballon, il s'agit plutôt de développer l'aspect divertissement d'un sport qui s'américanise.

Rappel : UEFA Mafia

Vous l'aurez peut-être remarqué, aucun club français ou allemand n'a encore rejoint la Super League. Pas de PSG ni de Bayern donc. Et là, ça s'emballe. Paris, nourri aux pétrodollars qataris, serait-il soudainement devenu un résistant syndicaliste ? C'est ce qui a tourné cette nuit, mais il n'en sera probablement rien. Trois places de "fondateurs" doivent encore être attribuées et on imagine qu'en coulisse, les discussions entre Florentino Perez, président du Real et de la Super League, et les dirigeants parisiens et bavarois battent leur plein.

Comme le signalait Himad Messoudi ce matin sur les ondes de La Première dans un édito ravageur, ce qui est surtout compliqué pour les fans de foot, c'est d'en arriver à soutenir l'UEFA, institution pourrie jusqu'à la moelle. Et qui ne défend pas ici une seule seconde un modèle basé sur les valeurs sportives et l'amour du foot populaire, mais uniquement ses intérêts économiques. Car pour elle, perdre le Barca, le Real, les Manchester et tous leurs copains reviendrait à fermer boutique. Aujourd'hui, on en vient donc à soutenir un projet de réforme tout aussi inéquitable que la Super League.

Plus rien ne tourne rond et ça part dans tous les sens. Depuis ce matin, les informations et réactions fusent. En Italie, l'Atalanta, Cagliari et l'Hellas Verone demandent l'exclusion de la Serie A de la Juve, de l'Inter et du Milan AC. Partout les fédérations s'inquiètent. La fédé belge a annoncé soutenir l'UEFA. Emmanuel Macron et Boris Johnson promettent de lutter contre le projet. Surtout, les réseaux sociaux s'enflamment d'une indignation monstrueuse. Il est réellement difficile de trouver une trace d'enthousiasme et on sent que la rage gronde ce matin face à un foot qui a mis en lumière ces derniers mois sa face la plus sombre. D'autres, comme l'ancienne gloire anglaise Gary Lineker (suivi par Himad Messoudi, moins glorieux mais tout aussi intéressant) pensent que c'est un énorme coup de poker, un coup de pression pour faire de l'UEFA leur jouet. Peut-être. Mais ce matin, les douze clubs concernés ont démissionné de tous les postes liés à l’Association européenne des clubs (ECA), mais aussi de leurs postes à l’UEFA. Ce qui laisse présager une guerre ouverte à laquelle assisteront, impuissants, les joueurs et les supporters. À moins qu'ils ne se rebellent, un jour...

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