Violences policières: quand on brise l’omerta

En Belgique aussi, des policiers ont commis des actes de violence graves et répétés. Pour la plupart, ils n’ont pas été sanctionnés. Nos témoins sont flics et posent la question: qui nous protège de la police? Un inspecteur est en grève de la faim. Pour dénoncer le harcèlement exercé par sa hiérarchie qui lui reprocherait de ne pas se conformer… à la loi du silence.

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Imaginez qu’aucun des policiers présents dans la cellule de Jozef Chovanec n’a été sanctionné et que moi, ils veulent me révoquer”. Éric Claessens, 49 ans, a cessé de s’alimenter il y a 7 jours. Il a reçu un avis préliminaire de la sanction disciplinaire la plus lourde qu’on puisse infliger à un fonctionnaire de police: la révocation pure et simple sans droits à la pension. Dire qu’il est scandalisé est un euphémisme. Il est blessé, il est meurtri. L’homme ne correspond absolument pas à l’image qu’on peut se faire d’un flic ripou, d’un inspecteur sous assuétude, d’un policier agressif ou irascible faisant le salut nazi ou rigolant assis sur un homme qui étouffe. Bref, de ceux qu’on imaginerait comme révocables. On lui a parlé longuement. Plusieurs fois. Il est posé, cohérent, articulé. Mais presque en état de choc face à l’énormité de la punition. On lui reproche d’avoir récolté des témoignages de violences et harcèlements subis par des policiers, infligés par leur hiérarchie ou par d’autres policiers. Le dernier épisode d’une série de rapports conflictuels qui vont crescendo depuis un certain jour de 2013 où il est en patrouille, près de la Bourse à Bruxelles. “Après avoir travaillé comme agent de police locale à la zone Marlow d’Uccle, j’avais réussi ma formation d’inspecteur et intégré la police des chemins de fer. C’était mes premières semaines et nous étions en patrouille en surface avec un collègue qui venait, comme moi, de sortir de l’Académie. C’était l’été, pendant la journée. On tombe sur un individu éméché qui urine sur la façade de l’Ancienne Belgique. On l’interpelle, on lui met les menottes. Tout va bien. Des collègues plus anciens décident d’amener à l’abri des regards l’individu dans la station de métro d’à côté, où la police dispose d’un local, en attendant le combi.” À la grande surprise d’Éric et de son camarade de promotion, dès son entrée dans le local, l’individu est plaqué contre le mur, sans aucune raison.

Ce qui se fait en bas reste en bas...

Éric décrit un déluge de coups. Des cris, des insultes, du sang. “On intervient avec mon binôme. Et on met un terme au passage à tabac. Puis, vu l’état du type, on le conduit aux urgences à Saint-Pierre. J’ai été voir mon chef. Un ex-militaire, un gros bras. Quand je lui parle de ce qui s’est passé, il me dit: “Ce qui se fait en bas reste en bas. Tu fermes ta gueule sinon tu vas avoir des problèmes”. Je fais quand même un premier rapport au service interne de contrôle de l’unité. Et puis, je me dis que ce n’est pas possible qu’on garde ça sous silence et j’en parle aux collègues autour de moi. Mais, plus j’en parle, plus je reçois des messages assez clairs me demandant de me taire.” Éric est appelé par le contrôle interne de la police des Chemins de fer. On lui demande de confirmer l’histoire, ce qu’il fait. “Je deviens alors la bête noire de mon chef et d’un nombre important de mes collègues. Je m’en rends compte assez rapidement. Alors que j’effectue une intervention face à un colosse ivre, quai numéro 2 à la Gare du Nord, j’appelle du renfort par radio. Aucun de mes collègues de l’unité ne vient. Personne. Pendant 10 minutes. Ça dégénère.” Résultat: une grave blessure au dos. La situation se rétablit finalement grâce à l’intervention de collègues d’un autre service. “Le lendemain, je travaille en suant anormalement, le jour d’après je suis à l’hôpital. J’avais une hernie discale éclatée et ma jambe gauche paralysée. Je suis en arrêt maladie pendant quelques mois. Le contrôle interne vient m’auditionner à la maison à plusieurs reprises au sujet du passage à tabac dans le local du métro. Et on me fait comprendre que dans mon unité, il y a beaucoup de problèmes. Le contrôle interne souhaiterait que je donne un “grand coup de pied dans la fourmilière”. C’est leur terme. Parce qu’ils ont plusieurs cas de violences, mais tout le monde se tait.” Alors Éric donne un coup de pied dans la fourmilière...

Derrière la “Porte rouge”

Éric évoque un commissariat de la police des chemins de fer situé à Rogier qu’on appelle la “Porte rouge”. Un commissariat fermé où il ne restait que le dispatching, toutes les autres pièces étant inoccupées. Et c’est dans ces pièces que Certains membres de la police des chemins de fer amèneraient des personnes pour les tabasser. “Je ne sais pas si ça se passe toujours actuellement. Par contre, ce que je sais, c’est que les “pommes pourries” qui s’adonnaient à ce genre de pratiques sont toujours là. Il y a eu des éléments qui ont été punis mais ils ont réintégré l’unité.” Sauf que pour Éric Claessens, les choses ne s’arrangent pas vraiment. “J’étais encore en rééducation lorsque je reçois un coup de téléphone d’un collègue du temps où j’étais agent de police à Uccle. Un chouette type. Il me dit: “Fais attention à toi, les bruits viennent jusque chez nous. Il y a des gens qui voudraient te faire la peau”. Éric Claessens demande à être muté. Il se retrouve au service des affectations temporaires. Où il subit depuis vexations, abus et harcèlement parce que marqué du sceau de celui qui “ne la ferme pas”. Jusqu’à cette révocation.

Une balle dans la tête 

Je pourrais faire comme ce collègue tellement harcelé qu’il est allé voir son divisionnaire avec un bidon d’essence et lui a dit: “Je vais te brûler, maintenant”. J’ai choisi la grève de la faim. J’arrive à me dominer. J’ai beaucoup de collègues qui connaissent ma situation et qui m’ont dit: “Moi, c’est une balle dans la tête”. Le mec qui m’a donné l’ordre illégal de patrouiller la nuit sans arme à Jumet, c’est le même qui a été soupçonné de coalition de fonctionnaires dans l’affaire Mawda. Les mecs qui m’ont envoyé 13 mois à Jumet à rien foutre en civil dans un bureau sans ordinateur, ce sont les mêmes qui ont caché pendant deux ans à la justice que M. Chovanec était mort. Il faut que les pommes pourries s’en aillent. Pas moi.” Éric ira au bout de sa grève de la faim, prétend-il. Cela servira aux autres à défaut de lui sauver la mise. “Des témoignages de policiers et policières abusés, j’en ai une pile. Des collègues en dépression, en pleurs, on leur touche le cul, il faut que ça s’arrête.” 

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