
À Wuhan, la délicate traque des origines du virus

Le 31 décembre 2019, l’Organisation mondiale de la santé était prévenue par son antenne chinoise de « cas de pneumonie de cause inconnue détectés dans la ville de Wuhan ». Un an et quelques jours après, une équipe de dix experts mandatés par l’OMS est envoyée sur le terrain. Là où aurait commencé la plus grave crise sanitaire mondiale depuis un siècle. L’objectif sera de répondre à cette triple interrogation : où, quand et comment le virus a-t-il été transmis à l’homme ? Mais la mission, qui devait débuter dans le courant « de la première semaine de janvier », a mal commencé.
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Ou plutôt, n’a pas commencé : « Aujourd'hui, nous avons appris que les responsables chinois n'ont pas encore finalisé les autorisations nécessaires à l'arrivée de l'équipe en Chine », a déclaré mardi le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, en conférence de presse. « Je suis très déçu de cette nouvelle, étant donné que deux membres avaient déjà commencé leur voyage et d'autres n'ont pas pu voyager à la dernière minute », a-t-il ajouté. À ses côtés, le responsable des situations d'urgence sanitaire à l'OMS, Michael Ryan, a pointé un problème de visas. « Nous espérons qu'il s'agit simplement d'un problème logistique et bureaucratique que nous pouvons résoudre rapidement », a-t-il dit. L’un des deux experts a dû rebrousser chemin tandis que l'autre attend dans un pays tiers.
Une question politique
Ce faux-départ illustre à lui tout seul le caractère éminemment sensible de la visite à Wuhan (province du Hubei) des scientifiques de l’OMS. Les États-Unis, pays le plus durement touché par le virus, ont publiquement accusé Pékin de taire des informations sur l’origine de la pandémie. Washington a également jugé l’OMS coupable de complaisance envers le régime chinois. « Il n'y a rien à cacher », balayait en novembre Tedros Adhanom Ghebreyesus. « La position de l'OMS est très, très claire : nous devons connaître l'origine de ce virus, car cela peut nous aider à prévenir de futures épidémies ». Mi-février, la première mission internationale envoyée en Chine par l’organisation onusienne n’avait d’abord pas été autorisée à se rendre dans le Hubei, avant de finalement pouvoir passer quelques heures en périphérie de Wuhan, mais sans toutefois être en mesure de réellement enquêter.
De leur côté, les autorités chinoises ont à leur tour politisé la question des origines du virus, en tentant de renvoyer plus ou moins subtilement la patate chaude à leurs rivaux américains. La théorie de l’arrivée de la maladie sur le sol chinois lors des Jeux militaires mondiaux, organisés en octobre 2019 à Wuhan, a ainsi été relayée par les médias chinois. Une vidéo évoquant « 200 mystérieux laboratoires de biosécurité mis en place par l’armée américaine tout autour du monde » a même été publiée par des médias officiels. Cela répondait aux allégations de Donald Trump, qui avait assuré avoir des preuves de l’implication d’un laboratoire de Wuhan dans la propagation de la maladie.
À la recherche du patient zéro
Si les uns et les autres ont déjà choisi leur vérité politique, reste la vérité scientifique. Celle-ci risque bien d’être délicate à dégager. Pour l’heure, la plupart des experts estiment que l’hôte originel du virus est une chauve-souris. Mais l’animal censé avoir joué le rôle de « tremplin » biologique pour contaminer l’homme n’a toujours pas été identifié, malgré les soupçons qui se sont portés un moment sur le malheureux pangolin. Quant au marché de Wuhan, il n’est plus du tout sûr aujourd’hui qu’il ait été l’épicentre de la pandémie, même s’il semble avoir au moins joué un rôle amplificateur dans la propagation du virus.
Composé de spécialistes de santé publique, d’épidémiologistes, de virologues et de zoologues, la mission de l’OMS aura fort à faire. Plus d’un an après le départ supposé de l’épidémie, les chances de trouver des réponses auront ainsi drastiquement diminué. L’identification du fameux « patient zéro » sera d’autant plus compliquée, vu les caractéristiques du Covid-19 et le fait que de nombreux cas contagieux sont en même temps asymptomatiques. Les enquêteurs se baseront sur les analyses des données d’hôpitaux, et cartographieront toutes les activités, échanges et chaînes d’approvisionnement du marché de Wuhan au moment de l’arrivée du virus.
Ne rien négliger pour répondre aux complotistes
Même si de nombreux scientifiques excluent a priori le scénario du virus échappé d’un laboratoire, l’hypothèse devrait normalement revenir au menu des investigations de l’OMS. « A ce jour, toutes les hypothèses sont recevables pour expliquer l’émergence du nouveau coronavirus, jugeait dans Le Monde le virologue belge Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS français. Que ce soit celle d’une transmission à l’homme par des mécanismes de transfert et d’adaptation naturels, ou d’un accident de laboratoire. Il faut absolument réussir à se défaire du complotisme ambiant pour que chacune puisse être examinée scientifiquement, sans préjugés ».
Des préjugés, tous les experts mandatés à Wuhan n’en seront pas dépourvus. Comme le relève Le Monde, le zoologiste britannique Peter Daszak, un des experts mandatés par l’OMS, présente un conflit d’intérêt, puisqu’il a collaboré pendant plusieurs années avec l’Institut de virologie de Wuhan (Wiv). C’est-à-dire le même laboratoire tenu responsable par Donald Trump &Co de la fuite du Covid-19. Dans un article cosigné dès février dans la revue The Lancet, Peter Daszak qualifiait de conspirationnistes les thèses suggérant que le virus ne serait pas d’origine naturelle. Fin de l’année, Marion Koopman, un autre membre de la mission d’enquête, a quant à elle assuré qu’aucun scénario ne serait mis de côté. « Tout est sur la table » a-t-elle déclaré à la revue Nature.