
Racisme : "Le ton est devenu plus dur, plus brutal, plus agressif"

Cette dame turque, qui a porté plainte auprès d'Unia, était à la recherche d'un logement. "Le courant semblait passer avec le propriétaire d’une villa, commence-t-elle. Il m’a fait visiter les lieux et m’a même demandé, en plaisantant, si j’avais l’intention d’abattre des moutons. À mon grand étonnement, j’ai reçu par erreur le lendemain un e-mail qui était en fait destiné à l’agent immobilier et dans lequel j’ai lu que ma candidature était rejetée. Le texte disait littéralement : ‘Il est extrêmement dangereux d’introduire des étrangers dans ce quartier. Pour les voisins qui pensent autrement et pour les prix de l’immobilier, qui baisseraient, ce qui à terme ferait de ma villa un investissement négatif.’ J’en ai informé́ le point de contact local d’Unia, où j’ai trouvé́ une écoute. Il a été décidé́ en concertation d’entamer un parcours de médiation, qui s’est déroulé́ de manière très positive."
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Ce type de faits, cités dans le rapport annuel d'Unia sorti ce 22 juin, serait en augmentation (+13,9 % de signalements entre 2018 et 2019). "Après les élections du 26 mai 2019, il n'y a plus eu aucune retenue, commente le président d'Unia (ex-Centre pour l'égalité des chances) Patrick Charlier. Certains ont vu les résultats de ces élections comme le signal qu'ils pouvaient se laisser aller. Le ton du débat social est devenu plus dur, plus brutal, plus agressif." Il pointe une normalisation des messages de haine sur les réseaux sociaux, mais également dans la rue. À titre d'exemple, Unia a reçu l'an dernier 186 signalements pour des tweets de Dries Van Langenhove, le fondateur de Schild & Vrienden. D'autres incidents – ou drames – auraient accentué l'émergence du racisme. Récemment, il y a eu la mort tragique de George Floyd aux États-Unis, mais aussi l'incendie criminel du centre d'accueil pour demandeurs d'asile de Bilzen ou l'embarcation de migrants qui s'est échoué à la côte belge. Sans parler de la recrudescence de "blackfaces" ou d'autres représentations stéréotypes au sujet de minorités, comme ça a été le cas aux carnavals d'Alost, à la Ducasse d'Ath ou à celle de Deux-Acren.
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Le retour de la lutte
En parallèle à cette réalité à condamner, une série d'actions de solidarité de la part des citoyens est apparue. Ils réclament – on l'a vu le 7 juin lors de la manifestation Black Lives Matter en face du Palais de Justice de Bruxelles – des mesures contre le racisme structurel, les discriminations, le profilage ethnique, etc.. En 2019, certaines décisions ont permis de renforcer la lutte comme l'apparition de test de situation, notamment pour lutter contre la discrimination au logement.
Le rapport d'Unia sorti aujourd'hui témoigne de cette recrudescence du racisme. Si l'on examine le nombre de dossiers ouverts en 2019, il apparaît que les dossiers fondés sur des critères dits "raciaux" restent les plus importants (951). Les autres catégories sont le handicap (614 dossiers), les dossiers relatifs aux convictions religieuses et philosophiques (336) et l'orientation sexuelle (133). Les domaines de discrimination principaux restent l'emploi (657 dossiers), le logement, le transport, les produits bancaires et d'assures (641), mais également les médias (346), l'enseignement (308) et… la police ou la justice (81 dossiers). Ces chiffres ne sont en réalité pas tout à fait représentatifs du problème puisque, on le sait désormais, la majorité des victimes de discriminations ne portent pas plainte auprès d'une instance comme Unia ou le Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie (Mrax), ni à la police.
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Patrick Charlier se félicite en outre de son action préventive, notamment contre la discrimination sur le marché du travail. Il explique : "Notre outil d’apprentissage en ligne eDiv.be demeure un point de départ pour 4.000 nouveaux utilisateurs uniques. On y trouve de nombreuses suggestions à destination des entreprises qui veulent développer une politique de prévention. Et nous avons également réalisé le quickscan, un questionnaire permettant à une entreprise d'évaluer sa politique de prévention afin d’ensuite l'améliorer."
Pour vaincre les violences racistes, la prévention est évidemment essentielle. Au moins autant que la sensibilisation. Carlos Crespo, président du Mrax, pointe notamment le rôle des médias dans ce combat qui, "même si ces dernières années ont eu des évolutions favorables, notamment avec l'apparition à l'antenne d'une présentatrice météo afro-descendante, ont encore du travail en termes de représentativité de la diversité." Il ajoute : "En Belgique francophone, on ne donne pas trop la parole au Vlaams Belang, mais dans une série de partis qui ne sont pas d'extrême droite, certains propos problématiques sont tout de même relayés. Il y a des zones grises."
Un plan contre le racisme attendu depuis 2001
La solution devra certainement être politique. Patrick Charlier salue le fait que la Première ministre Sophie Wilmès ait relancé la dynamique en vue de l'établissement d'un plan national d'action contre le racisme, dans le cadre des débats sur le déboulonnement des statues de Léopold II de l'espace public. Mais, précise Unia, celui-ci est attendu depuis 2001 et n'a toujours pas été concrétisé… Il est donc temps de joindre les actes aux promesses.
Cet article est issu d'une série de 5 publications à paraître entre le 18 juin 2020 et le 22 juin 2020.