Le télétravail, nouvelle norme pour les fonctionnaires?

En Flandre, c'est l'ambition du ministre chargé de la Fonction publique. Une petite révolution à laquelle réfléchissent, à des degrés divers, le fédéral et les autres entités fédérées.

Le télétravail se généralise de plus en plus.

Un espace de bureaux réduit, un personnel heureux et une meilleure mobilité. Pour le ministre flamand des Affaires intérieures Bart Somers (Open VLD), les vertus du télétravail relèvent de l'évidence. Le libéral en est persuadé : les fonctionnaires du nord du pays doivent continuer massivement à télétravailler après la crise du Coronavirus. La crise actuelle offrirait en quelque sorte une occasion en or de changer la façon de travailler au sein de l'administration. En d'autre termes : le télétravail deviendrait la norme, et non plus l'exception. « Il est temps qu'on sorte de la vision très classique qui veut que, pour travailler, il faut être présent au bureau. Ce sont les prestations qui comptent. Sur ce point, la crise du Coronavirus a mené à une petite révolution psychologique au niveau du lieu de travail. Il s'agit d'une chance pour les autorités flamandes de jouer un rôle précurseur », explique le bourgmestre de Malines, dans l'édition de lundi du quotidien Morgen. Celui-ci prépare une circulaire avec de nouvelles lignes directrices sur le sujet.

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Bart Somers (Open VLD)

La Wallonie et Bruxelles y réfléchissent

Parmi les autres entités du pays, la Wallonie s'avère de loin la plus convaincue par une généralisation du télétravail. Son administration déborde même d'enthousiasme. Celle-ci compte bientôt présenter au gouvernement une nouvelle stratégie immobilière basé sur l'extension du travail à distance. «Ce qui permettra d’autre part de rationaliser la gestion immobilière et de dégager des marges financières », explique Nicolas Yernaux, porte-parole du Service public wallon (SPW). Le constat est simple: le recours massif au télétravail durant l'actuelle crise sanitaire n'a pas entamé l’exercice des missions. «Il apparaît que plus de 60% de celles-ci se sont poursuivies normalement ». La Région bruxelloise étudie pour sa part la façon d'améliorer les conditions de travail à domicile. «L’administration prépare une analyse afin de renforcer le bien-être des agents en télétravail, et mettre à leur disposition le matériel informatique et ergonomique adéquat. Des pistes de réflexion sont entamées pour renforcer la cohésion d’équipe à distance», explique le cabinet du ministre bruxellois de la Fonction publique Sven Gatz (Open VLD).

Une réflexion va aussi être menée pour examiner dans quelle mesure les fonctions aujourd'hui incompatibles avec le travail à distance pourraient le devenir demain. « Nous souhaitons garder le télétravail dans la fonction publique. Lorsque la situation le permet, nous souhaitons qu’après l’été, les collaborateurs qui le souhaitent puissent travailler depuis chez eux un à deux jours par semaine».

Sven Gatz (Open VLD)

Une étude au fédéral, de la prudence en Fédération Wallonie-Bruxelles

Le ministre fédéral de la Fonction publique David Clarinval (PS) annonce bientôt faire le bilan de ces trois derniers mois de télétravail forcé. Pour l'heure, le bourgmestre de Bièvre reste beaucoup plus prudent sur la question que ses deux homologues libéraux: «Sur cette base, j’entamerai une réflexion plus vaste sur l’utilité d’amplifier ou non le volume de télétravail». Du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le ministre compétent Frédéric Daerden reste également évasif sur le sujet. Le socialiste parle certes de « réelles opportunités », mais souligne l'importance d'une réflexion sur l’équilibre entre vies privée et professionnelle, et la fracture numérique. «Mais aussi l’accessibilité des services des personnes ayant des besoins spécifiques, la sécurisation des données et l’adéquation entre le matériel informatique et les logiciels mis à disposition ».

David Clarinval (MR)

Jusqu'à 90 % de fonctionnaires concernés

Une certitude : il y aura bien d'une manière ou d'une autre un « avant et après coronavirus » au sein de la fonction publique. Faute d'alternative, les administrations du pays ont massivement eu recours au télétravail. Avec comme résultat une prise de conscience que les services ont pu fonctionner de cette manière. Au fédéral, 72% des membres du personnel ont travaillé à 100% à domicile et 16% de 1 à 4 jours par semaine. Au total 88% des membres du personnel ont donc effectué du télétravail. Au sud du pays, 51% des agents publics ont travaillé chez eux cinq jours sur cinq. Un pourcentage identique dans la capitale. Pour les deux régions, ce chiffre plus faible qu'au fédéral s'explique par le nombre élevé de fonctions impossibles à relocaliser au domicile du travail. «En raison de spécificités inhérentes à certaines fonctions comme le Siamu ou encore Bruxelles-propreté, certains agents ont dû continuer à assurer une présence physique au travail », explique le cabinet de Sven Gatz.

Une tendance qui ne date pas d'hier

Voilà plusieurs années que les mesures d'encouragement au télétravail fleurissent aux quatre coins du pays. Dernier exemple en date : la batterie de mesures fin 2019 au niveau wallon. Avec à la clé la réduction de la période d’attente pour bénéficier du système et la possibilité de prester deux jours par semaine au lieu de un. Sans compter la mise en place d'une indemnité forfaitaire. Au sud du pays, chaque fonctionnaire bénéficie ainsi d'une allocation mensuelle de 20 euros pour couvrir les frais de connexion internet. «L'idée est de rendre la fonction plus attractive, plus moderne dans la façon de travailler. On remarque que cela participe aussi à un meilleur équilibre entre vies privée et professionnelle pour les jeunes travailleurs», explique le cabinet de la ministre wallonne de la Fonction publique Valérie De Bue (MR). De manière globale, le télétravail existait déjà avant l'actuelle crise sanitaire. En Fédération Wallonie-Bruxelles, près de 30% des membres du personnel bénéficiaient du télétravail

Valérie De Bue (MR)

Une révolution en cours ?

Chercheur en droit du travail à l’Université Saint-Louis, Jean-Benoît Maisin considère que faire du télétravail la nouvelle norme serait un changement complet de paradigme par rapport à la situation actuelle. « Sur le plan juridique, le télétravail est normalement un système volontaire depuis un accord cadre européen de 2002. Ça s'est inversé pendant le confinement et on va voir comment cela évolue à l'avenir, mais je sens que les employeurs ont envie de repenser un peu les règles pour faire effectivement du télétravail un système de masse et plus quelque chose de marginal. Si cela arrive, il s'agirait d'une petite révolution dont il est impossible de connaître déjà toutes les implications ». Celui-ci souligne toutefois d'évidentes inégalités sur la question du télétravail. Sa généralisation ne profiterait pas en d'autres termes à tous les travailleurs. « C'est plutôt apprécié par des gens dans des bonnes conditions économiques, mais il y a des catégories de personnes pour lesquelles cela va être plus compliqué. Pour ceux qui qui sont mal installés chez eux, l'employeur n’est plus là pour leur offrir un bureau propre, une bonne connexion et une imprimante. »

Le télétravail a le vent en poupe.

Un système avec ses effets pervers

Non, le télétravail ne possède pas que des avantages. Les inconvénients s'avèrent même loin d'être négligeables. Au niveau fédéral, une enquête menée au sein des différents SPF a recensé début avril différents problèmes. Le cabinet de David Clarinval explique : « Celle-ci a relevé que certains travailleurs pouvaient être confrontés à une connexion insuffisante, des espaces de bureau à la maison qui ne répondent pas aux exigences en matière d’ergonomie, une hausse du stress, un manque de contacts sociaux entre collègues et des problèmes liés à la gestion d’une équipe».

Une étude de l'ULB et la VUB publiée en décembre 2018 avait déjà permis de mettre en évidence plusieurs motifs de garder la tête froide sur la question du télétravail. Sociologue du travail à l'ULB, Aline Bingen a participé à l'élaboration de ce rapport. Elle s'inquiète notamment des risques possibles d'une pression à la productivité. « Le travail à domicile et d’autres formes de flexibilité en termes de lieu de travail ne sont en tout cas pas fortement associés à une meilleure qualité des horaires de travail », explique l'enseignante. « Plusieurs nouvelles formes d’organisation du travail apparaissent liées à une plus grande satisfaction quant aux conditions de travail, mais s’avèrent en même temps aller de pair avec des niveaux élevés de stress et un phénomène de brouillage des frontières entre la vie professionnelle et la vie privée ». L'extension du télétravail s'inscrit certes dans une tendance de fond. Les autorités doivent pourtant manier avec prudence ce concept présenté par certains comme résolument moderne.

Le télétravail a le vent en poupe.

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