
300.000 intérimaires oubliés des aides

Cynthia, une Bruxelloise de 29 ans, est entre deux jobs. En novembre, suite à un coup de folie, elle a claqué la porte du groupe de cosmétique pour lequel elle était ingénieure. Sans C4. Sans droit au chômage. Avec des économies pour tenir quelques mois, elle a décidé de prendre le temps, de ne pas se précipiter vers un job qui ne lui plairait pas, préférant enchaîner certaines missions en intérim dans des grands magasins ou des restaurants. Depuis le confinement, les agences ne lui trouvent cependant plus rien. "Je vais devoir rechercher un CDI comme ingénieur même si je sais que ça ne me plaira pas, dit-elle en admettant : Au moins j'ai de la chance, je sais que je trouverai vite dans mon secteur, même si je ne suis pas sûre que les entreprises embauchent en cette période. D'autres intérimaires sont encore plus démunis."
Suite à la crise du Covid-19, le gouvernement fédéral a certes accepté d'étendre le droit au chômage temporaire aux intérimaires. Le problème est que les contrats signés sont généralement de courte durée, à la semaine voire à la journée. Certes, en octroyant le chômage temporaire aux intérimaires qui ne peuvent normalement pas en profiter, le gouvernement fait preuve de souplesse. Mais les travailleurs ne peuvent bénéficier d'une allocation de 70 % de leur salaire et des 5,63 euros par jour chômé sur lequel un précompte est prélevé que durant cette période limitée. Pas les jours suivants. Arnaud de Grelle, directeur Wallonie-Bruxelles de la Fédération des prestataires de services RH (Federgon) précise : "À moins que le lien contractuel avec l’employeur-entreprise d’intérim reste maintenu. Il appartient à l’entreprise d’intérim d’introduire le plus rapidement possible la déclaration ad hoc. Cette mesure s’applique avec effet rétroactif pour les contrats établis à partir du 13."
En d'autres termes, Cynthia a pu toucher deux jours de chômage temporaire. "J'étais sous contrat pour le week-end suivant l'annonce du confinement pour des inventaires en magasin. Le job a été annulé, mais j'ai eu 70 % des revenus en restant à la maison. Depuis, je n'ai droit à aucune aide. Or mon loyer, mes charges… restent identiques", explique-t-elle.
50 % de travail en moins
Comme elle, la plupart des intérimaires ont du mal à trouver de nouvelles missions en cette période de confinement et d'inactivité générale. On le sait, le secteur de l'intérim affiche une insolente santé en Belgique avec plus de 220 millions d'heures de travail prestées par an par 600.000 Belges, dont 240.000 étudiants. Or Federgon a chiffré : l'épidémie a entraîné une baisse moyenne de 50 % de l'activité intérimaire dans l'ensemble des entreprises belges, laissant donc, à la grosse louche car certains ont simplement moins de travail, 300.000 personnes sans job. Arnaud de Grelle nuance toutefois : "Dans les secteurs médical et paramédical, mais aussi de la production alimentaire et du transport de la logistique et de la distribution, la demande augmente." Ce qui ne correspond pas du tout à Cynthia.
Le secteur de l’#intérim répond à la pénurie de personnel dans les secteurs essentiels et dans d’autres secteurs https://t.co/aoIjK0QP7N #travailintérimaire #COVID19 pic.twitter.com/4Fo12rbfmf
— Federgon (@Federgon) March 27, 2020
Le retour du Graal CDI
Ces dernières années, la flexibilité et la précarisation de l'emploi a été incontestablement encouragée par certaines politiques gouvernementales et les entreprises. Les travailleurs y ont, dans une certaine mesure, trouvé leur compte avec plus d'autonomie et de liberté. La Bruxelloise a ainsi pu voyager tout le mois de novembre en Asie du sud-est sans se soucier de décevoir un éventuel employeur.
La situation que connaissent les intérimaires, mais aussi les iPros ("professionnels indépendants" ou faux indépendants), les adeptes de CDD en série aujourd'hui… interpelle néanmoins François Pichault, le sociologue directeur du Laboratoire d'Études sur les Nouvelles formes de Travail, l'Innovation et le Changement (Lentic) de l'ULiège : "Cet électrochoc remet beaucoup de choses en perspective. On risque d'un côté de voir apparaître une hausse de la désirabilité du CDI classique, seule protection véritable en cas de crise. Ce serait un retour en arrière pré-choc de 2008. De l'autre côté, cette crise est un coup de pouce assez fort aux formules proposées par les intermédiaires de l'emploi comme Smart qui proposent des solutions à la place de l'entreprise."
Un marché plus inégal que jamais
Le Professeur poursuit: "Les pouvoirs publics trouvent des solutions rapides en débridant les dépenses, en octroyant le chômage partiel ou temporaire aux employés réguliers, en diminuant les revenus des salariés encore au travail. Malgré ces contrariétés, on reste dans ce cas dans des formes relativement sécurisantes d'emploi. Alors que les nouvelles formes d'emploi, les iPros, les intérimaires, etc. se retrouvent du jour au lendemain avec une prise débranchée et sans solution de secours car le chômage partiel ne s'applique pas à eux. Cela renforce les dualités sur les marchés du travail. D'un côté, on a un marché interne protégé par des conventions collectives. De l'autre, un marché externe : les travailleurs qu'on prend et qu'on jette au rythme des besoins. Avec le Covid-19, la scission entre les deux se renforce. Ceux qui s'en sortent pas trop mal sont ceux du marché interne. Les autres galèrent…"
À Cynthia de terminer: "C'est clair que mon CDI m'aurait été bien utile aujourd'hui. Je ne suis pas du genre à regretter mes choix, mais j'espère en retrouver un assez vite."
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