

Les enquêtes se recoupent : environ un ado sur trois a déjà été victime de cyberviolences. En moyenne, les filles seraient davantage confrontées à ce phénomène que les garçons, avec une différence allant jusqu’à 10 points selon les sources. Chez les adultes, le constat est le même. Selon une enquête menée par Amnesty International dans 8 pays, un quart des femmes aurait déjà victime de harcèlement sur internet au moins une fois, contre 19 % des hommes. De la même manière, 90 % de victimes de revenge porn sont des femmes.
Le professeur d’informatique à l’Université de Oxford en Angleterre Renaud Lambiotte pointe une première explication: « Le monde informatique est historiquement un monde plutôt masculin. Les personnes qui programment sont en grande partie des hommes. Cela façonne la philosophie de nombreuses compagnies. On se souvient notamment du cas de Uber dont les scandales de harcèlement ont causé la démission de son CEO, car il s’est avéré que la culture d’entreprise n’était pas très accueillante pour les personnes différentes du modèle de l’homme blanc hétérosexuel. »
Cela se traduirait chez les créateurs de réseaux sociaux, par certains choix de programmation sexiste. Il ajoute : « Peut-être que les priorités données à la résolution de certains problèmes à résoudre ne sont pas à l’avantage des femmes, notamment en matière de cyberbulling où le problème spécifique des femmes devrait trouver une réponse adéquate. Or les entreprises s’attaquent peut-être au problème dans sa globalité. »
Patricia Mélotte, sociologue de l’ULB et spécialiste des réactions sexistes, a une autre partie d’explication. « Les réseaux sociaux reproduisent les mêmes travers que dans l’espace public physique. C’est le transfert de ce qui se passe dans la réalité. C’est-à-dire le harcèlement sexiste, sexualisé ou non, les comportements intrusifs qui font référence aux stéréotypes de genre. C’est toujours l’idée de remettre les femmes à leur place, une sorte de rappel à l’ordre par rapport aux normes de genres, aux rôles traditionnels des hommes et femmes. » Elle constate que ce sont surtout les femmes qui affirment des opinions qui sont victimes de campagnes de haine.
« C’est un rôle de menace. Si on sait que des femmes peuvent potentiellement se faire agresser sur les réseaux sociaux, ça va faire peur à d’autres femmes de prononcer leurs opinions. C’est comme dans l’espace public, lorsqu’on observe que certaines craignent de se déplacer à certaines heures à certains endroits. » Trop souvent, les témoins ne disent rien. « On sait que plus il y a une diffusion de la responsabilité, moins les témoins réagissent. Or sur internet, les témoins sont des milliers. C’est pourquoi certaines femmes ont quitté les réseaux. Mais on retombe dans l’inaccès à certains endroits à certaines heures. Les personnes victimes sont celles qui sont sanctionnées. »
Alors que faire ? « La difficulté de répondre est la même que dans la vie réelle… On conseille toujours d’ignorer, de marquer son désaccord sans répondre. Mais il existe une bonne réaction adaptée à chaque personnalité. Chacune doit trouver ce qui lui convient le mieux. » Il est aussi toujours possible de porter plainte. Les lois contre le harcèlement, les communications électroniques, le sexisme et, dans le cas de revenge porn, sur le voyeurisme peuvent être appliquée à de nombreuses situations.
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