
Des pesticides dans nos cheveux

Fruits et légumes, produits cosmétiques, traitements pour animaux ou la conservation du bois... Les pesticides se sont invités depuis de nombreuses années dans notre quotidien. Ils se sont incrustés dans nos sols, nos maisons et notre corps au point de devenir nos meilleurs ennemis. Or, ces substances biocides ont un impact sur les organismes vivants. Elles peuvent être toxiques, cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques, neurotoxiques, perturbateurs endocriniens. Aujourd’hui, il est possible de les tracer même dans nos cheveux. À l’échelle européenne, fin 2018, le Groupe des Verts/ALE a organisé une campagne, via un institut indépendant, pour mesurer l’exposition humaine à 30 pesticides sélectionnés considérés comme des perturbateurs endocriniens. Cette campagne a été menée dans six pays : Allemagne, Danemark, Royaume-Uni, Italie, France et Belgique. “Cette question préoccupe réellement les habitants de notre pays. Pour le test, nous avions fait un appel au public et nous avons eu plus de 550 réponses en Belgique francophone en quelques semaines, précise le député vert européen Philippe Lamberts. Cette enquête, c’est de la pédagogie politique. Je veux montrer que l’on peut agir avec des actes simples.”
Un bain de polluants
À la sortie du laboratoire, les chiffres sont éloquents : sur les 30 pesticides testés, 11 ont été détectés au moins une fois pour les échantillons belges. Par ailleurs, 69,2 % des échantillons analysés contenaient au moins un résidu de pesticides et 23,6 %, au moins deux résidus de pesticides. Pire, dans quatre échantillons, quatre résidus différents ont été retrouvés. “Les résultats de l’enquête ne me surprennent pas. On baigne dans un bain de polluants chimiques et d’ondes. Les produits sanitaires répandus dans la nature, on les retrouve partout et ils mettront très très longtemps à disparaître. La réglementation sur les perturbateurs endocriniens au niveau européen n’est pas bonne. On va arriver à la même situation qu’avec le tabac et l’amiante. On va attendre d’avoir des morts pour avoir la preuve qu’il y a un problème.”
Cette enquête montre que les pesticides les plus récurrents pour la Belgique, détectés dans plus de 10 % des échantillons, sont le propiconazole (42,3 %), le fipronil (23,1 %), le chlorpyrifos-ethyl (19,2 %), la perméthrine (19,2 %), le pendiméthaline (11,5 %) et le pyrimethanyl (11,5 %). Des noms que notre organisme connaît bien. Mais à quoi servent-ils ? Le propiconazole est un fongicide autorisé dans l’UE pour un usage agricole appliqué sur les grains avant germination (maïs, riz sauvage, avoine…) pour lutter contre les champignons et les moisissures. Il est très présent dans les aliments.
De son côté, le fipronil (connu pour la crise des œufs en 2017) est interdit dans l’agriculture dans l’UE mais autorisé dans certains pays, dont la Belgique, comme biocide (c’est-à-dire pour des usages non agricoles). On le trouve dans les préparations destinées au traitement contre les puces et les tiques chez les chiens et les chats. Le chlorpyrifos, lui, est un insecticide autorisé pour l’agriculture, soupçonné d’avoir des effets neurotoxiques pour l’homme et d’être un perturbateur endocrinien. L’exposition humaine passe principalement par la consommation d’aliments en particulier dans le riz, les céréales, le poisson, les produits laitiers, mais aussi l’eau potable. Le pendiméthaline, pour sa part, est un herbicide qui sert à lutter contre les mauvaises herbes, notamment dans les cultures de maïs, de pommes de terre, de riz, de coton, de soja, de tabac, de cacahuètes et de tournesol.
Quant à la perméthrine, elle a été utilisée contre un grand nombre d’insectes mais aussi en intérieur (notamment pour la conservation du bois). Enfin, le pyriméthanil est un fongicide employé contre la pourriture grise en viticulture et contre la tavelure qui touche essentiellement les pommiers et les poiriers. La voie alimentaire n’est donc pas la seule source d’exposition. “Je conseillerais aux gens de faire une analyse de cheveux pour voir si leur consommation est en adéquation avec leurs analyses. Il faut manger plus bio pour réduire l’ingestion de produits chimiques”, ajoute Philippe Lamberts.
Cette enquête européenne fait écho à d’autres réalités de terrain déjà constatées chez nous, comme les résultats publiés par l’Institut scientifique de service public. Ceux-ci indiquaient la présence de pesticides en ville, à la campagne et même au milieu de réserves naturelles après une enquête dans les urines de 200 enfants de 9 à 12 ans. “Les gens de la ville ne sont pas plus ou moins exposés qu’à la campagne. Les polluants qu’ils rencontrent sont différents, entre les voitures et les produits phytosanitaires.” D’autres recherches récentes ont interpellé comme cette étude réalisée sur des députés français dont les urines contenaient trop de glyphosate (risque accru de lymphome) ou encore la maire et des élus du Conseil de Paris, qui ont mesuré la concentration problématique en phtalates dans leurs cheveux, sans oublier l’enquête de 60 millions de consommateurs sur les cheveux de jeunes de 10 à 15 ans, qui affichait des résultats inquiétants quant aux polluants détectés.
Protéger le bio
Face à ces résultats, au-delà des changements individuels d’habitudes et d’actes d’achat, seule une action politique concertée peut permettre une révolution de société : “Après les élections européennes, je veux que l’on mette sur la table une révision complète des impacts sur l’environnement et la santé de chaque décision prise au niveau européen” affirme Philippe Lamberts qui demande un sursaut du monde politique. “Ce n’est pas un problème de lobby. On est arrivé à un moment où les responsables politiques sont convaincus que ce qui est bon pour les multinationales est bon pour la société et bon pour l’emploi. Les élus se laissent convaincre parce qu’ils sont déjà convaincus. Aujourd’hui, il y a trop d’élus hors sol.” Et les entreprises aussi devraient agir : “Les fabricants n’appliquent pas le principe de précaution. On s’assied régulièrement dessus parce que les pesticides permettent de fabriquer des produits moins chers. Pour certaines substances, on se trouve même au-delà des normes. Une situation d’autant plus inquiétante qu’on n’analyse jamais en détail les effets combinés de plusieurs polluants”.
Dans ce contexte, la meilleure option serait de soutenir la filière bio, “sauf que parfois le bio est contaminé par l’environnement qu’on lui a laissé. Il faudrait mettre en place un fonds, soutenu par l’industrie, pour indemniser les producteurs “bio” honnêtes lorsqu’il y a une contamination par l’environnement ou le monde extérieur”. En attendant que ce type de fonds voie le jour, Philippe Lamberts croit beaucoup en la jeunesse actuelle : “Les jeunes dans la rue ont une revendication écologique. Ils pensent à ce qu’ils mangent et ont envie d’une autre vie. Ils demandent qu’on leur propose autre chose”.
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