Yvan Mayeur: « Bruxelles est la ville-monde du futur »

Yvan Mayeur sort un livre pour s’expliquer sur l’affaire du Samusocial. Il en profite pour défendre son piétonnier et plus largement sa vision d’une ville pour tous.

Yvan Mayeur

Une fois la question du Samusocial posée et sa réponse apportée -sa réponse à lui en tout cas- le livre « Yvan Mayeur, citoyen de Bruxelles» (il a grandi dans les Marolles) s’étend largement sur le bilan de ses réalisations, les raisons de l’échec du stade national et surtout sur sa vision de ce que pourrait devenir notre capitale. Une ville ouverte à tous, soutenue par des services publics forts, une ville durable aussi. Le chapitre s’appelle « Bruxelles une ville d’avenir ». Au moment où l’aménagement du piétonnier bruxellois entre dans une phase intense, mais presque définitive, on dirait un programme de campagne, sinon que bien sûr Yvan Mayeur a quitté la vie politique.

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Pour résumer votre vision de la ville du futur, vous parler de «slow city».

Yvan Mayeur - J’ai fabriqué ce concept parce que je suis attiré par le Slow Food, une cuisine qui valorise les produits, adaptée aux saisons, tournée vers les productions locales, les circuits courts. Prendre le temps de cuisiner et de partager, je rêve de transposer ça à la ville. Quand on visite une ville à l’étranger, on le fait à pied pour prendre le temps de regarder, d’apprécier, de connaître. Prendre un verre à une terrasse, discuter avec des gens, croiser des regards, rencontrer l’humanité, c’est ça le modèle de ville que je souhaite à tout le monde. Pas une ville agressive. Je ne suis pas opposé à la voiture. Il faut évidemment accepter la réalité de la circulation. Ça n’empêche pas de réserver des espaces pour vivre autrement. Les villes doivent être des lieux à vivre, pas seulement des lieux de production, . un lieu d’espoir pour les gens, pas un endroit où ils échouent comme une épave sur un rivage.

Entre tourisme et gentrification, Bruxelles peut-elle être cette ville-là ?

La ségrégation sociale se traduit aujourd’hui par une ségrégation spatiale. Mais on peut vouloir une ville inclusive, qui accepte les diversités et mélange les populations. Il faut pacifier la confrontation des milieux sociaux, notamment grâce à une politique d’accès aux études, aux soins de santé et aux aides sociales. Cela passe aussi par un aménagement urbain qui doit être partagé par tous. C’était insupportable d’entendre qu’à cause du piétonnier, il n’y avait plus personne en ville. En réalité, il y avait plus de monde, mais pas le monde que certains voulaient. Désolé, mais cette ségrégation, il faut la combattre. Une ville pour tous ne peut pas rester un slogan, ce doit être une volonté politique.

La Ville a-t-elle les moyens de cette politique ?

Mais on l’a fait. Quand je suis arrivé, les hôpitaux publics de Bruxelles étaient en faillite. Un grand ministre m’a dit de fermer l’hôpital Saint-Pierre et de n’en garder qu’un dispensaire et un pôle d’urgences. J’ai voulu sauver Saint-Pierre et on a fait la même chose pour tous les hôpitaux publics en travaillant avec les autres communes et la Région. L’enseignement de la Ville de Bruxelles est un réseau modèle, un des plus grands aussi. Nous avons une politique sociale exceptionnelle, avec un CPAS exceptionnel. On a une police qui, franchement, fait un travail remarquable. Tout cela, ce sont de grands corps publics, efficaces, des exemples qui contredisent l’idéologie dominante qui voudrait toujours plus réduire, voire arrêter, l’entreprise publique.

Des pouvoirs publics forts, ce n’est en effet pas dans l’air du temps.

Le développement économique doit être soutenu, mais tout n’est pas faisable dans le privé. Le public a son rôle à jouer. Je vous donne un exemple. Nous avions besoin de trouver une solution pour fournir les repas dans les hôpitaux, les maisons de repos et les écoles de la Ville. Une firme privée a remporté le marché. Au bout de quelques mois, elle n’a plus été en mesure d’y faire face. Alors on a créé les «cuisines bruxelloises», un service public qui apporte la nourriture aux enfants, aux patients, aux résidents et qui, en plus, offre des emplois et de l’insertion. C’est formidable, non? Mais c’est embêtant parce qu’il faut des politiques pour gérer. Or, on considère aujourd’hui, que les politiques sont suspects, qu’ils doivent être bénévoles et surtout incompétents. Non, moi je dis qu’il faut se battre pour l’excellence publique. Notre gestion doit être remarquable. Il est sidérant qu’en la matière, les écolos donnent le ton. Faisons leur bilan: le photovoltaïque qui coûte des milliards à la Wallonie, les écotaxes, la gestion pénible de leur propre assemblée générale… C’est juste une blague! Ce sont des moralisateurs sans légitimité parce qu’ils n’ont fait la démonstration de rien. On va dans le mur si on les suit. Là, je reconnais que je suis en campagne.

Vous décrivez les côtés excitant de la ville, en oubliant ses aspects décourageants, comme une difficulté de plus en plus grande à vivre ensemble.

C’est une question de fond qui mériterait un livre: la place du séculaire face au religieux, l’égalité homme-femme, les droits et devoirs, le racisme qui, probablement libéré par les attentats, s’exprime sans retenue autour de nous… Il faut en tout cas commencer par s’accepter mutuellement. C’est essentiel et cela s’adresse à tout le monde. Un ville forte et accueillante peut aider à cela. Mais il faut oser dire que, parfois, ceux qui sont victimes du racisme sont eux-mêmes homophobes ou anti-femmes. Il faut que tout le monde comprenne que rien de tout cela n’est acceptable. Cela demande d’abord d’installer des règles, d’éduquer à ce cadre et puis de le faire respecter. Il faut l’imposer dans l’espace public et même dans l’espace privé. Ce n’est pas la première réponse, mais la police de proximité est donc essentielle. Il faut une police à l’écoute des gens, à l’écoute des victimes des violences sexistes, du racisme, de l’homophobie.

Grandir à Bruxelles, surtout si on a des origines extra-européennes, ce n’est pas toujours simple.

Chez beaucoup de jeunes Bruxellois, existe en effet un mal-être, un problème d’identité. Dans une maison de jeunes, j’avais expliqué qu’en fait, ils possédaient une identité incroyable: ils sont de Bruxelles. Dans le monde entier, on connaît cette ville. C’est un formidable passeport. C’est une ville cosmopolite, mélangée, multi-ethnique, internationale. C’est la ville-monde du futur. Dire qu’on vient de cette ville, ce n’est pas rien.

Votre « projet pour Bruxelles » vous ne le défendrez pas. D’autres peuvent reprendre cette vision ?

Beaucoup de gens partagent mes idées, mais je ne vais pas citer de noms parce que je ne veux pas me mêler de la campagne électorale qui arrive. En revanche, je peux faire des comparaisons internationales. Montréal a son projet ou Florence avec Mateo Renzi, Anne Hidalgo avance à Paris, Bill de Blasio à New York… Après les attentats de Bruxelles Sadiq Kahn, le maire de Londres est venu me voir. Il songeait à un piétonnier autour d’Oxford Street. Il m’a demandé si je pensais que cela ferait polémique (il rit). Prenons aussi un exemple de droite: Alain Juppé a connu beaucoup de difficultés à Bordeaux qui passe maintenant pour un modèle à suivre. C’est pour ça qu’en politique, il faut tenir.

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