
13 Reasons Why: la série qui pousse les ados harcelés à témoigner

13 Reasons Why ou les treize raisons qui ont poussé une adolescente à se suicider. C’est le pitch de la toute dernière sortie de Netflix, inspirée d’un livre du même nom signé par Jay Asher. Une série qui aurait pu passer inaperçue face aux mastodontes comme Big Little Lies ou aux derniers épisodes de la septième saison de The Walking Dead. Pourtant, ce projet porté par Selena Gomez, qui enfile ici le costume de productrice, a éclipsé tous les autres. La raison de ce succès est toute simple: elle aborde le problème du harcèlement scolaire avec brio. Épisode après épisode, le scénario installe les humiliations vécues par un personnage, Hannah Baker. Une jeune fille bien sous tous rapports, sensible, aimée, jolie et droite.
Isolés les uns des autres, la majorité des événements qui lui arrivent semblent anodins. Ce qui explique en partie pourquoi les adultes qui la côtoient, comme ses enseignants et ses parents, ne repèrent pas sa souffrance. Mais l’accumulation pose problème… Le glissement vers le harcèlement est progressif, insidieux. Une fois le doigt pris dans l’engrenage, les rouages de ce piège vicieux se referment très très rapidement. À l’âge des premiers émois sexuels, de la découverte du corps et de l’acceptation de soi, n’importe quel adolescent peut devenir une victime. Un phénomène exacerbé par l’avènement des réseaux sociaux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le personnage principal de 13 Reasons Why décide de livrer son calvaire sur des cassettes audio et non pas sur un fichier MP3: de cette façon, son témoignage est moins accessible et difficilement partageable. Un lot de cassettes qui passe de main en main, en fonction des personnes qui l’ont blessée.
Raconter son calvaire
S’il est vrai que le harcèlement n’est pas un phénomène nouveau, son retentissement semble cette fois différent. Expliqué, incarné. Sans doute parce que dans la vraie vie, personne ne laisse jamais de cassettes audio pour décrypter les raisons de son suicide. Certains téléspectateurs touchés au vif par la série ont donc décidé de faire tout le contraire d’Hannah: ils ont utilisé les réseaux sociaux comme outil de transmission. Une manière de reprendre leur destin en main en racontant leur histoire. De spectateurs, ils deviennent ainsi acteurs d’un mal qui touche toutes les classes sociales. Une pluie de témoignages qui ne se tarit pas depuis la diffusion du projet sur Netflix et permet de réaliser l’ampleur du phénomène. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Pour moi, ça a commencé quand j’avais 13-14 ans, commente une jeune fille sur Twitter. Je recevais des remarques sur mon physique, on me conseillait de me suicider… J’allais à l’école avec la peur au ventre. L’année d’après, les humiliations ont augmenté pour la seule raison que je faisais de l’équitation. […] Petit à petit, j’ai commencé à me demander si ce n’était pas moi le problème. Les idées noires sont arrivées, je me suis fait du mal… Ça s’est arrêté quand j’ai changé d’école. Aujourd’hui, j’ai encore beaucoup de difficulté à faire la différence entre de la rigolade et de la persécution. Peu importe la forme du harcèlement que l’on vit, cela nous change. Il modifie notre perception de nous-mêmes.”
Nathalie Vancraeynest, qui s’occupe de la plate-forme “Grandir en confiance”, abonde dans ce sens. “ Les séquelles psychologiques du harcèlement dans l’enfance ou l’adolescence impactent également la vie d’adulte. Si ces humiliations ont duré sur le long terme, ce sont des personnes qui auront beaucoup de mal à créer des liens sociaux, à s’épanouir relationnellement. Et surtout à s’ouvrir aux autres. ” La technique de protection est simple et consiste à s’isoler, à éviter les regards. L’attitude est étrange et n’inspire pas la sympathie, même chez les adultes. Une blessure d’adolescence qui reste béante toute sa vie. Pour éviter d’en arriver là et réussir à stopper le harcèlement dès ses prémices, il existe plusieurs clefs de fonctionnement. Encore faut-il savoir en repérer les signes.
L’enfant harcelé a tendance à taire son malheur, même face à ses parents. De peur que les moqueries ne s’aggravent ou simplement par honte de ce qui lui arrive. Martine Dubus est familière de la situation. Quand elle apprend que sa fille de 12 ans, Romane, est victime d’humiliations, elle tombe des nues. “ L’une de ses amies est venue sonner à la maison un soir et nous a tout raconté. ” Piquée au vif, son premier désir est d’aller se confronter aux responsables du mal-être de son enfant. Puis elle se raisonne. Cette mère de famille, qui habitait alors en France, prévient l’école et met en place un système de survie à court terme: elle dépose sa fille devant ses cours, la reprend le midi et vient la chercher dès que la cloche sonne. Entre-temps, une éducatrice l’escorte à chaque changement de classe. La solution n’est pas optimale, mais elle permet de stopper le problème le temps de développer une stratégie durable. Pour cette famille-là, il s’agira de déménager.
Ne l'oublie pas. #13ReasonsWhy pic.twitter.com/mFL2Vtu6G6
— Netflix FR & BE (@NetflixFR) 1 avril 2017
Repérer les signes
Revenue en Belgique, Martine Dubus fonde l’ASBL “Chut…E” en aide aux victimes du harcèlement. Elle traite 3 à 4 cas par semaine. “ Et encore, là-dedans je ne compte que les situations graves, pas les petites disputes épisodiques.” Avec les années, elle a appris à repérer certains signes “d’appel à l’aide” dans le comportement d’un enfant, même s’ils ne sont pas toujours liés à un problème de harcèlement. “S’ils ont constamment mal au ventre, de la difficulté à digérer. Si bizarrement ils ont des maux de tête, surtout le dimanche soir. S’ils inventent des excuses abracadabrantes pour ne pas aller à l’école. Si les notes commencent à se dégrader sans raison apparente. Alors là, il faut commencer à poser des questions, mais jamais frontalement. ”
Quand on est parent, il est nécessaire de garder en tête que chaque enfant est potentiellement une victime… Comme un harceleur. Les éléments déclencheurs sont infinis. Dans le cas de Romane, comme souvent d’ailleurs, c’est parti de rien. “ En France, nous habitions dans une maison subventionnée par l’État. Sauf que comme nous étions Belges, on payait le prix plein. Mais ça, les gosses n’étaient pas au courant. Du coup, ils ont déterminé qu’elle habitait dans une maison de “cassos”, qu’elle était pauvre. ” Nathalie Vancraeynest, de “Grandir en confiance”, rapporte l’expérience d’un autre enfant. “ Un été, il est parti en vacances avec ses parents dans le sud de la France. Comme tous les ados, il voulait avoir l’air cool et du coup, il a décidé de poster une photo sur Facebook de son “Virgin Mojito”.” Un cocktail sans alcool, donc. Pourtant, ce bête cliché prend des proportions immondes. Les commentaires s’emballent, on le traite d’alcoolique. Dès la rentrée des classes, il est moqué, mis de côté. À douze ans seulement. C’est l’autre indicateur du harcèlement: le téléphone qui vibre en permanence. L’ado l’aura constamment dans son champ de vision et regardera frénétiquement chaque notification. “ Paradoxalement, il veut être au courant de ce qui se dit sur lui. Ces enfants-là dorment avec leur téléphone sous leur oreiller. Ils sont constamment sur leurs gardes. ”
Il n’y a donc pas de typologie, pas de manuel. Pascal Linotte, psychothérapeute et chercheur au Centre de référence en santé mentale (CRéSaM) tire certaines conclusions, sans être catégorique. “ En fait, le harceleur, qui est souvent le leader d’un groupe, va trouver une personne qui lui renvoie quelque chose de dérangeant par rapport à sa situation personnelle. Quelque chose qu’il a du mal à accepter. L’exemple classique, c’est une personne qui a de gros problèmes familiaux et qui s’en prend à un autre chez qui tout semble bien se passer. Même schéma du côté de leur identité sexuelle, parce qu’ils sont tous en questionnement à ce niveau-là. Les petits gars de 14 ans sont assez obsédés par le fait de montrer des facteurs de virilité, et ceux qui sont plus efféminés deviennent alors des “menaces”. C’est fragile. ”
Des moqueries au sein du foyer
Les personnes harcelées sont celles qui ont le moins de ressources. Moins de soutien familial, moins d’amis et surtout moins de repartie. “ Quand on a plein de copains prêts à nous défendre, en général on ne va pas venir nous embêter. C’est très primaire finalement. La violence et la délinquance sont souvent opportunistes. Certains enfants cumulent plein de caractéristiques qui pourraient en faire des victimes potentielles, mais ils ont une telle force de caractère, de repartie ou d’humour qu’ils ne seront jamais pris pour cibles. ”
Pascal Minotte précise également que certains environnements sont plus favorables aux humiliations. Quand on étudie dans une école où il y a globalement une mauvaise ambiance, par exemple, où les adultes sont peu présents, pas assez vigilants au bien-être des enfants. “ Certains éducateurs ou professeurs cautionnent le harcèlement dans leurs classes, ils l’alimentent même.” Résultat, le choix d’un bouc émissaire est facilité. D’autant que de nombreuses directions sont encore dans le déni. Si l’on pointe un dysfonctionnement chez eux, ils vont voir cela comme une menace à la réputation de l’établissement. Individuellement, un professeur aura du mal à expliquer qu’il y a des problèmes dans sa classe, de peur que l’on considère qu’il est inapte à gérer, à faire son travail.
Un problème amplifié par les réseaux sociaux, à l’âge de la construction de soi. Les moqueries ne s’arrêtent plus à la sortie de l’école, mais entrent au sein même du foyer. Un lieu qui servait encore de cocon pour les enfants harcelés il y a une dizaine d’années. “ Les ados font des gifs, pointent les défauts physiques, diffusent des photos compromettantes…, ajoute Nathalie Vancraeynest. Les jeunes filles sont souvent prises pour cibles à ce niveau-là. Ça dérape très vite. Et quand une photo est diffusée, il est presque impossible de l’arrêter.” Un enfant sur deux qui est humilié sur les réseaux sociaux connaît son harceleur. Couper l’accès au smartphone ne sert donc à rien. “Il ne faut pas non plus avoir les codes des réseaux sociaux de son enfant. C’est son jardin secret, toute sa vie s’étale sur Facebook, sur WhatsApp, sur Instagram.”
Une seule solution: l’écoute. Ne jamais répondre à un enfant qui se confie qu’il s’agit d’un problème d’ado. Il faut lui expliquer les postures “de confiance” à adopter, le mettre en situation. Lui apprendre quelques phrases de repartie et contacter son établissement. “Mais il est surtout nécessaire de replacer l’empathie au centre du débat, conclut Pascal Minotte. Les écoles doivent se doter d’un système de fonctionnement contre le harcèlement, faire en sorte que les enfants se mettent à la place des autres. C’est une valeur oubliée qu’il serait bon de rappeler à certains adultes. Car c’est la base du vivre ensemble. ”