
Rock Werchter 2015: les 6 concerts à retenir du jeudi

> Patti Smith
Le 13 décembre 1975, Patti Smith, jeune chanteuse nourrie de la poésie de Rimbaud et déjà très active sur la scène punk new-yorkaise, son premier album, "Horses". Elle ne se sait pas encore qu'elle vient d'écrire une page d'histoire. Produit par John Cale, ce brûlot de rock et de rage n'a jamais rien perdu de sa puissance sulfureuse. Il a traversé les époques, survécu aux modes et reste toujours bien classé dans les listes des "disques ultimes". En 2006, le très sérieux Time Magazine l'a placé ainsi en tête de son classement des "100 albums rock de tous les temps" alors que le très influent Rolling Stone le rentre, chaque année depuis sa sortie, dans sa "discothèque idéale".
Ce jeudi, sous l'immense chapiteau The Barn, Patti Smith rappelle à l'âge de 68 ans qu'elle reste toujours "un enfant de la liberté". Devant une foule hypnotisée représentant plusieurs générations, plusieurs générations, cette grande prêtresse reprend l'intégralité de "Horses" avec tout le charisme qu'on lui connaît. Elle est entourée de son fidèle guitariste Lenny Kaye qui arbore désormais la même chevelure poivre/sel que Patti Smith et de tous les musiciens qui ont participé à l'enregistrement de "Horses", à l'exception du pianiste Richard Sohl, décédé. La poétesse rock peut mesurer l'effet intact de ses chansons sur nos âmes. Les larmes aux yeux quand elle évoque son premier concert en Belgique en 1976, le poing levé quand elle scande le Gloria de Van Morrison ou reprend la première phrase sulfureuse de "Horses" ("Jesus died for somebody's sins but not mine", "Jésus est mort pour les pêchés de quelqu'un, mais pas les miens"), elle est tout simplement la Patti qu'on a toujours aimé: juste, indomptable et profondément émouvante... Et quand arrive l'heure du rappel, où elle brise toutes les cordes de sa guitare sur le symbolique My Generation de The Who, on se dit que, oui, on a vécu le meilleur concert de cette première journée. Merci Patti!
Patti Smith revient avec son band le 27/10 à l'Ancienne Belgique pour présenter "Horses".
> Chet Faker
Chemise blanche, cheveux noirs, col serré, chignon admirablement enroulé par-dessus une barbe parfaitement rousse, l’Australien Nicholas Murphy mélange les styles et les couleurs sous la cape de Chet Faker. Un an après un premier rendez-vous moite et sexy, à Dour, sur le site de la Machine à feu, l’artiste rallume la mèche à Rock Werchter devant un public belge totalement acquis à sa cause. Entre électro épurée et R’n’B dénudé, infra basse et nostalgia ultra, l’artiste pose la voix sur des mélodies raffinées et comble, contre toutes attentes, le vide séparant la musique de Boys II Men et celles de James Blake et autres Jamie Woon. Moins statique et réservé que par le passé, l’homme délaisse régulièrement son synthé pour s’essayer à quelques jeux de jambes (un brin forcés), tentant même, à mi-parcours, un moonwalk de kangourou sauvage. À cheval entre les tubes de son premier album ("Built On Glass") et de nouvelles compos, Chet Faker charme sans forcer. Facile quand il s’agit d’enfiler les hits (Gold, Talk Is Cheap) comme des perles sur un ruban, le don Juan de Werchter caresse même la perfection avec sa reprise de No Diggity, tube R’n’B popularisé par Blackstreet en 1996. Sensuel, éthéré, bien emballé, le show fait des heureux… et un bon paquet d’heureuses. Dans les premiers rangs, les filles ne peuvent s’empêcher de sourire. C’est beau.
> Faith No More.
Remplaçant de dernière minute des Foo Figthers, Faith No More fait mieux que tenir son rang sur la scène principale au moment où le soleil se couche. Il y prend du plaisir. "Pour moi, Dave Grohl peut se casser la jambe tous les jours. Nous sommes vraiment contents d'être ici", lâche en plein milieu de concert le claviériste Roddy Bottum. Moins d'une semaine après son passage en tête d'affiche au Graspop, moins d'un mois après la sortie de l'excellent "Sol Invictus", son premier album depuis 1997, la formation américaine fait toujours preuve d'irrévérence et on aime ça. Avec des costards blancs, des fleurs en plastique comme décor et le micro en or du chanteur gominé Mike Patton, les membres de Faith No More ressemblent à un orchestre pour La croisière s'amuse. Mais pas de muzak pour retraitées californiennes ici, plutôt un mélange toujours improbable de rock, de funk, de hip-hop et de vraies ballades pour faux crooner. Faith No More reprend l'intro d'All my life des Foo Fighters, crache les épiques (sorry pour le jeu de mots) Epic et We care a lot, offre toujours une version suave et sexy du Easy des Commodores et n'oublie pas de balancer un guttural Motherfucker tiré de "Sol Invictus". La rumeur dit que Faith No More a décroché le jackpot (on parle d'un cachet - déjà élevé à la base- multiplié par trois) pour remplacer Foo Fighters. Mais ils n'ont pas fait que cachetonner.
> Jungle
À l’heure de l’apéro, c’est la loi de Jungle sous les voûtes du KluB C, une tente XXL qui n’a jamais vu un scout ni un feu de camp. Dans cet immense espace, conçu sur-mesure pour les festivaliers de Rock Werchter, le collectif londonien vient souffler sur les braises de la soul américaine pour imaginer des chansons transgéniques et euphoriques. Congas, percussions sur bouteilles en verre, guitares électriques sur envolées synthétiques : c’est la recette miracle du tube funky-fresh qui s’agite sur scène. Quelque part entre Curtis Mayfield, Marvin Gaye et Gnarls Barkley, on découvre une musique afro et sexy jouée par sept blancs-becs dopés au fish and chips. Au cœur des (d)ébats, deux gars : Josh Lloyd-Watson, un hooligan monté sur ressort, et Tom McFarland, un hipster fringué comme un para-commando en embuscade chez Urban Outfitters. Entouré d’un groupe hyper efficace et de deux choristes aux aguets, les garçons entament le concert pied au plancher, avant de ralentir la cadence… pour mieux relancer la machine en fin de parcours. Tubes profilés pour l’été, Time et Busy Earnin offrent un bouquet final groovy et agité. Simple et funky.
> Caribou
Minuit dans le rétro, c’est déjà l’heure de la dernière sortie du jour sur les terres de Rock Werchter. Passé en mode go-go dancer, on traque Caribou sous un KluB C métamorphosé en boîte de nuit. Toujours guidé par le cerveau exalté de l’impassible Dan Snaith, le groupe canadien joue en formation rapprochée. Au cœur de la scène, compressés les uns contre les autres, en communion, les quatre musiciens agitent des substances psychédéliques dans un tourbillon hyper dansant, provoqué à l’aide de véritables instruments. Tout de blanc vêtu, Caribou traverse sa discographie avec des envies de dancefloors de plus en plus affirmées. Ce jeudi soir, l’essentiel du show se structure ainsi autour de l’album "Swim" (2010), dont les morceaux servent de plaque-tournante idéale entre les pulsions rocks des débuts et les plus récentes pulsations électroniques. Tiré du dernier album ("Our Love"), le tube Can’t Do Without You illustre à merveille cette volonté de réinventer la pop sous les stroboscopes. Les guiboles dérouillées, on se laisse ensuite porter par Bowls, hymne métronomique emmené par deux batteries épileptiques. Sur fond de cloches tibétaines, les baguettes fracassent de la cymbale et la chaussette (le batteur de Caribou joue les pattes à l'air) fouette de la grosse caisse. C'est énorme. Synthé, basse et guitare se portent aussi au chevet de Jamelia : une montée R&B perforée de beats moelleux et sexy à souhait. Comme le veut désormais la tradition, Caribou achève sa performance sur un Sun éblouissant. Dans la foule, les festivaliers exultent. Un mec avec un alligator gonflable scotché sur le dos lève les bras au ciel. C’est le règne animal. Entre l’homme et la machine, on a donc vu Caribou. Une véritable bête de scène.
> Chemical Brothers
"Hey girls", les (faux) frères chimiques sont de retour à Rock Werchter exactement vingt ans après la sortie de leur premier album "Exit Planet Dust". "Hey boys", ils annoncent leur nouveau disque "Born In The Echoes", pour ce 17 juillet. "Superstars Dj's there we go"... C'est parti pour la claque... Sans jeunisme, même dans leurs nouveaux tracks qui auraient pu être conçus au siècle dernier, les vétérans de l'électro ravivent la flamme d'une dance hédoniste, puissante et toujours plus spectaculaire sur les écrans LED que sur scène où il ne se passe strictement rien. Ça reste d'une efficacité redoutable et à en croire les adolescentes qui jumpaient devant nous, leurs morceaux sont toujours d'actualité et secouent les sens. Le groupe de (clôture de) de festival par excellence. Et si le lendemain, on a complètement oublié, sur le moment même, ça fait l'effet d'un uppercut...