
Xing Hui & Hao Hao: Les peluches de la discorde

Le bras de fer (ou le coup de bambou)
Comme trop souvent dans ce pays, ce qui devait être une réjouissance nationale s’est rapidement mué en une énième bisbille communautaire. Septembre 2013: à peine Elio Di Rupo annonce-t-il la venue de deux pandas dans le parc wallon de Pairi Daiza que le ministre-président flamand Kris Peeters sort les griffes, accuse le Premier de favoritisme et réclame Hao Hao et Xing Hui au zoo d’Anvers qui, à la base, n’en avait pourtant pas fait la demande… S’engage alors, par presse interposée, une guéguerre pour la garde des nounours entre le "meilleur parc à thème 2013" de Belgique et des Pays-Bas et la vénérable institution aux murs classés au patrimoine mais décrite comme un cimetière aux animaux. A travers eux, ce sont surtout deux images d’Épinal inédites qui s’affrontent: celles d’une Wallonie dynamique face à une Flandre qui a pris un sérieux coup de bambou.
La griffe d’Eric Domb
Lorsqu’il y a 20 ans, Eric Domb achète le domaine de Brugelette et projette d’en faire un parc animalier d’envergure européenne, beaucoup crient au fou. C’était compter sans la force de persuasion de ce gentil ami des animaux qui ne braconne qu’une seule espèce: les oiseaux de mauvais augure. Quand ce combatif ne s’exaspère pas du manque d’ambition de la Wallonie, il pilonne le nationalisme, "une maladie mentale collective". Résultat, ce parfait bilingue s’impose, malgré lui (?), comme un acteur politique wallon de premier plan. Et si les pandas étaient "l’aboutissement d’un rêve",il ne s’y arrête pas. Récemment, il a encore racheté une prairie de plusieurs hectares au sud du parc et est revenu il y a quelques jours d’un trip en Russie avec l’idée d’un nouveau jardin prévu pour 2017: la "Terre du froid". Mais son "fantasme" absolu reste de "recréer l’Amérique précolombienne"…
L’œil au beurre noir de De Wever
Ça devait être un uppercut préélectoral. Absent des écrans radars médiatiques depuis des semaines, De Wever réapparaît déguisé en panda lors d’un show télé sur Vier à la mi-mars pour se payer la tête de son meilleur ennemi, Elio Di Rupo. Mais il manque sa cible. Le bourgmestre d’Anvers présente en effet erronément (mais volontairement) la venue des plantigrades comme un nouvel écho de la gabegie et du clientélisme wallons. Sauf que comme le rectifient les "vrais" Hao Hao et Xing Hui dans une lettre ouverte tout en humour sur Facebook: "C’est bien Pairi Daiza, le jardin privé, qui paie pour nous, pas le contribuable". Et Eric Domb de rappeler que le Zoo d’Anvers est - de loin - le parc animalier le plus subsidié de Belgique…
Le cul dans le beurre
Même assuré un million de dollars, un tel cadeau de la Chine, on en prend soin. Outre une armada de vétérinaires chinois pour épauler l’équipe de Pairi Daiza, l’Université de Gand soumet les deux précieux à un suivi scientifique quotidien. Chaque jour, des échantillons de leurs crottes sont prélevés, analysés et… pesés, pour vérifier la quantité de bambou ingérée (15 kg par jour). C’est qu’au début, Xing Hui rechignait un peu à manger… Il a fallu tester une quarantaine de variétés de bambou pour trouver sa préférée: le Pseudosasa japonica, importé par camions d’une plantation à Chièvres et d’autres pépinières dans le reste de l’Europe. Les deux mammifères mangent aussi des "pandacakes", des grosses biscottes au quorn, aux œufs et au soja. Efficace: ils ont grossi de 10 kilos! Avec 24 caméras dans leur enclos, ils sont "plus suivis que n’importe quel président du monde" assure Eric Domb. Pourra-t-on bientôt les voir en direct sur Internet? Oui, mais pas 24 heures sur 24: ils ont "aussi besoin du respect de la vie privée", explique-t-il sans rire.
Les boules en dessous des bras
On les vendait comme "le couple de l’année". Que nenni. Hao Hao et Xing Hui sont, comme tous leurs congénères, d’invétérés solitaires. Ils vivent chacun dans leur enclos, séparés par un fossé rempli d’eau, et ne peuvent se voir qu’entre deux rangées de bambou. Histoire que Xing Hui ne se lasse pas de Hao Hao. C’est que le mâle, gros fainéant, n’est pas trop porté sur la chose, tandis que la période de fertilité des femelles ne dure que trois ou quatre jours par an… La fenêtre de tir est donc ultra-serrée, alors que la reproduction est un enjeu majeur pour cette espèce menacée - moins de 2.000 individus à travers le monde. Pairi Daiza table tout de même sur un bébé panda dans les deux ans… De façon naturelle ou - à défaut - par insémination artificielle.
La patte tendue à la Chine
La "diplomatie du panda" est utilisée par la Chine depuis plusieurs siècles, pour consolider des relations diplomatiques avec un pays. Un "trésor national" qui ne se refuse pas. Et qui s’accueille en grande pompe: cargo personnalisé DHL, escorte policière et accueil du Premier ministre Di Rupo en personne. "Cette affaire n’était pas anecdotique, elle était aussi éminemment économique et politique", confirmait à Moustique celui qui lâcha à la Chambre un "J’aime les pandas" devenu mythique. Mais qu’offrent donc ces ambassadeurs noir et blanc au pays du Soleil levant? D’abord, un engagement économique: Pairi Daiza finance ainsi des programmes de protection des pandas et de conservation des forêts en Chine. Un soutien politique ensuite: la Belgique, comme siège des institutions européennes, présente un intérêt stratégique. Enfin, un message symbolique: non, ce pays ne fournit pas seulement des produits "made in China", il a aussi un inestimable patrimoine culturel.
La trace médiatique
Du panda, dans les médias, on en a bouffé. Alors que sur Twitter, le hashtag #pandagate drainait les conversations, sur Google, on a tapé 5 fois plus souvent le mot "pandas" en février 2014 qu’on ne l’avait jamais fait en Belgique jusqu’alors. Mais l’indigestion a certainement eu lieu lorsque RTL "a ouvert" son JT sur leur arrivée, dégainé un logo spécial "pandas" et consacré trois reportages et deux directs pour un total de 9 minutes, avant de seulement aborder l’actualité en Ukraine. Une démesure médiatique responsable de l’empoisonnement de l’"affaire", selon Eric Domb dans Matin Première: "Il faudra quand même que ceux qui apportent l’information mesurent à quel point leur responsabilité est importante de (…) mettre en exergue des éléments qui opposent les hommes les uns aux autres".
Les reins solides
Une location à 850.000 euros par an (pendant 15 ans) et un aménagement du parc à 10 millions d’euros… On a beaucoup péroré sur le coût des pandas. On peut cependant compter sur Eric Domb pour anticiper le retour sur investissement. Preuve: le parc animalier, devenu première destination touristique de Belgique, a enregistré une augmentation de 40 % de son nombre de visiteurs - un nouveau record - lors de ce printemps. Soit la période qui correspond pile-poil à l’arrivée de vous savez qui. Mais la capacité maximale n’ayant pas été atteinte, il est encore possible de faire… mieux.