
Réussir son couple

Jamais on n'a écrit autant d'articles sur comment réussir sa vie de couple, donné autant de conseils pour être heureux à deux. De plus en plus de couples recourent à des thérapies et autres sessions de coaching pour relancer la machine, et la littérature sur le sujet prolifère. Ce n'est pas Isabelle Tilmant, psychothérapeute et auteur de Rester amoureux, l'art de réinventer son couple, qui dira le contraire: "Il y a de plus en plus de demandes, mais ce qui est nouveau, c'est que l'on consulte à tout âge et à toutes les étapes de la vie du couple. Les jeunes ont aujourd'hui conscience de la fragilité d'une relation, parce qu'ils ont vécu, enfants, la séparation de leurs propres parents ou de membres de leur famille".
Il semble également que cet investissement dans l'action couple passe par la case mariage. Ce que confirment doucement les dernières statistiques belges (voir https://statbel.fgov.be), avec une progression de la nuptialité de l’ordre de 3 % entre 2011 et 2012. D'autre part, le mariage en tant que cérémonie est un marché en pleine expansion fait de salons, blogs, magazines, coachings et émissions télé. Et si la longue robe blanche, l'envie du jour parfait et le romantisme persistent et signent la pérennité des rôles traditionnels, la fête de mariage est aussi devenue un nouveau terrain de jeu et de créativité. Événement à thème, DIY, bohème ou conceptuel, avec des restes de tradition revisitée, le jour unique se doit d'exprimer le caractère, unique lui aussi, du couple, le style adopté par la nouvelle entité, voire son identité.
Autre signe des temps, les marques de mode fusionnent les modèles féminin et masculin. Dans l'univers fashion, le marketing ciblant le couple fonctionne bien: l'enseigne française The Kooples s'est lancée en jouant l'image du couple cool un peu rock & roll, au vestiaire mixte et androgyne, forcément stylé, qui affiche son histoire en total look. Le vêtement partagé fabriquant l'enveloppe commune.
Grosse pression
Cette mise en avant du duo amoureux se passe alors que le modèle familial est toujours en pleine mutation. En un temps record, à peine deux générations, l'influence de la famille et d'un cercle familial étendu s'est fortement réduite, et les systèmes classiques d'appartenance se sont estompés. Les conventions sociales écartées, de nouveaux modèles amoureux sont apparus: couples temporaires, à grande différence d'âge, cohabitants, avec ou sans enfants, hétéros ou homos, métissés… Sans pour autant que les stéréotypes féminin et masculin ne disparaissent à la même allure, soumettant ces évolutions à beaucoup de pressions contradictoires.
En 2011, dans son livre Amour - Déconstruction d’un sentiment, le philosophe allemand Richard David Precht résumait: "Jamais, dans l'histoire de l'humanité, l'amour n'a eu une valeur aussi importante que dans notre société, n'a occupé une telle place dans nos vies. Autrefois, le mariage d'amour n'existait pas, le mariage ne répondait qu'à des critères économiques, de lignage. Aujourd'hui, avec l'avènement de l'individualisme et la disparition des traditions, nous décidons nous-mêmes de notre destin. Le sens de notre vie dépend désormais du bonheur que nous éprouvons. D'où cette quête incessante de l'amour".
Cet espace de liberté est investi par le couple pour le couple même, dans une recherche de plus en plus grande de qualité de la relation. C'est un côté réjouissant de cette évolution, commente Isabelle Tilmant: "Les couples ne sont plus ensemble parce qu'ils le doivent, mais parce qu'ils le veulent. Ce qui veut aussi dire que quand l'autre n'est plus suffisamment satisfaisant, on le quitte". À une époque ou il suffit d'un clic pour rencontrer de potentiels partenaires…
Faire durer, ou pas
Siège ou champ de bataille de nombreuses attentes, le couple a placé la barre haut. Entre besoin de satisfaction affective - se sentir reconnu, compris, aimé totalement pour ce que l'on est dans une symbiose et osmose parfaite - et besoin de satisfaction sexuelle, entre projet parental et projet de vie en général, la relation amoureuse se montre ambitieuse dès le départ, quitte à se retrouver lestée dans sa course."Toute relation commence par l'idéalisation, poursuit la psychothérapeute.Et plus elle est grande, plus la descente sera difficile. Elle est pourtant une étape indispensable: c'est à travers elle que l'on voit l'autre pour ce qu'il est, que l'on entre dans une véritable relation."
Amour, vie à deux, éventuel mariage, enfant, et après? "La naissance du premier enfant est une étape difficile, souligne Isabelle Tilmant. Avec les connaissances actuelles de la psychologie de l'enfant, les parents accordent une grande importance au développement de leur progéniture. C'est évidement positif, mais épuisant." La priorité est donnée aux soins à l'enfant, les parents respirent à l'extérieur, mais chacun de leur côté. Le couple devenu famille s'est transformé en source de contraintes et, éloigné de leurs familles d'origine, les deux individus en vase clos ne disposent pas d'assez de ressources extérieures pour les alléger. Revient alors l'envie d'une vie de célibataire, d'une certaine liberté d'action…
"Certains couples consultent quand il y a eu infidélité , confie la psychothérapeute. Parfois, il est trop tard et l'un des deux partenaires a déjà fait un chemin trop important vers la séparation. D'autres fois, faire le deuil de cette relation idéalisée, se donner la permission de se quitter peut aider à renouveler le choix." Ce qui permet au final de rester ensemble, une fois la pression relâchée.
En savoir plus:
RESTER AMOUREUX, L'ART DE REINVENTER SON COUPLE, Isabelle Tilmant, éd. Robert Laffont, 2013, 300 p.
AMOUR - DECONSTRUCTION D’UN SENTIMENT, Richard David Precht, éd. Belfond, 2011, 408 p.
ON ARRETE?… ON CONTINUE? FAIRE SON BILAN DE COUPLE, Robert Neuburger, éd. Payot, 2004, 160 p.