
Profession: machine à vannes

Le monologue d’Antoine de Caunes, les blagues vaseuses de Laurent Ruquier, les questions impertinentes de Thierry Ardisson, les conneries de Cyril Hanouna… Où diable cherchent-ils l’inspiration? Réponse: chez leurs auteurs. Aujourd'hui, toutes les émissions d’infotainment sont alimentées en bons mots par des soutiers de la vanne. Une pratique qui est depuis longtemps complètement assumée aux Etats-Unis: tous les late shows des géniaux David Letterman, Jon Stewart ou Jay Leno (qui vient de tirer sa révérence…) emploient leurs bataillons de "serial-jokers", à qui on consacre même des blogs spécialisés, alimentés par de jeunes "comedy nerds".
En France, l’apparition des auteurs télé remonte, selon la datation au carbone 14, aux années 80 et à la création de Nulle part ailleurs sur Canal +. Antoine de Caunes est le premier à avoir rendu hommage à la fin de ses sketchs à ses fidèles écuyers, Laurent Chalumeau et Albert Algoud, pour avoir mis leurs bons mots dans la bouche de Didier l’Embrouille ou de Pine d’huître. Mais cette transparence n’était pas la règle: par complexe intellectuel peut-être, certains animateurs ont longtemps eu du mal à assumer que des nègres travaillent dans l’ombre pour eux, omettant parfois même volontairement de les créditer au générique.
Un métier de l’ombre
Aujourd’hui, la multiplication des talk-shows aidant, la pratique est à la fois plus répandue et plus décomplexée. Le rythme d’une quotidienne ou l’enregistrement stakhanoviste de plusieurs émissions sur une même journée imposent à ces animateurs vedettes (a fortiori lorsqu’ils coiffent en plus une casquette de producteur…) le recours à des Cyrano…
Et en Belgique? “Etant donné que côté francophone, il n’y a pas 250 émissions humoristiques, l’auteur télé belge doit avoir faim et être assez rachitique…“, glisse Dan Gagnon avec une double ironie, puisqu’il… fait lui-même appel à trois auteurs pour son tout nouveau Dan Late Show sur La Deux! Outre son frère Pierre-Luc Gagnon, authentique comedy writer de formation, on retrouve les jeunes humoristes Georges D. (qui collabore aussi sur la capsule Sigmund le poisson d’Alex Vizorek) et Guillermo Guiz, dénichés sur la scène du Kings of Comedy Club. "On lui envoie chaque semaine une dizaine de "one-lines" par mail, explique le second nommé, par ailleurs fraîchement débarqué comme chroniqueur dans On n’est pas rentrés sur La Première. L’idée, c’est de rebondir sur les titres d’actualité, pour enrichir son monologue du début. Genre: "Les ostéopathes demandent à être reconnus? Les gars, si vous voulez être reconnus, z’avez qu’à faire The Voicecomme tout le monde!""
D’autres émissions de divertissement font aussi appel à des scribes, sans prétention humoristique ni littéraire cette fois: pour les lancements de Maureen Louys dans The Voice par exemple. Ou encore pour les fiches de Miss Belgique ou le déroulé du prompteur de Make A Wish. "Des textes que je découvre la veille ou le jour même", confie Patrick Ridremont, qui a présenté ces deux cérémonies. La seule règle d’écriture est dès lors de "faire court". Consigne encore plus impérative en français, "parce que le sens ne se révèle souvent qu’à la fin de la phrase, détaille-t-il. Si celle-ci est trop longue, même accompagné d’un prompteur, on ne sait plus ce qu’on raconte".