
Pierre Marcolini: "Hé, les gars, on ne fait quand même que des éclairs!"

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Vous êtes devenu chef pâtissier à 19 ans! Comment êtes-vous tombé dans le chaudron de chocolat?
Pierre Marcolini - Avant d'être une histoire d'amour, c'est surtout une histoire de gourmandise. Vers 12 ans, je me suis rendu compte que je prenais toujours deux à trois desserts par repas, quitte à ne presque pas toucher aux plats de résistance pour garder de l'appétit. Puis l'amour du chocolat est venu, logiquement: c'est inscrit dans l'ADN des Belges. C'est une matière noble, magique. J'ai des souvenirs émerveillés de l'odeur qui régnait près de la gare du Midi où étaient basés de nombreux chocolatiers dont Côte d'Or. C'est à ce moment que j'ai eu le déclic: je veux faire ce job.
Pourtant, ces métiers manuels n'avaient pas la même aura à l'époque...
C'est vrai, on voyait les boulangers, les pâtissiers ou les cuisiniers comme des rescapés de l'enseignement technique de la dernière chance. Je me souviens de ma mère qui, quand je lui ai annoncé que je voulais être pâtissier, m'a dit: "Tu choisis la voie facile". Nous sommes début des années 70, j'étais fils d'immigré et il y avait de la xénophobie sur les Italiens, elle aurait préféré que je sois médecin ou avocat. Mais elle est rassurée aujourd'hui. Elle m'a vu chez Drucker, donc pour elle j'ai réussi. Aujourd'hui il y a une vraie prise de conscience sur ces boulots. Ils sauvegardent une certaine belgitude, un patrimoine. Mais nous sommes en retard, les Japonais chérissent ce savoir-faire depuis des décennies.
Vous êtes le seul chocolatier belge à travailler directement la fève de cacao et pas une plaquette Callebaut. Pourquoi ce choix?
C'est la différence entre le transformateur et le créateur de chocolat. J'ai eu une prise de conscience dans les années 2000, et je me suis dit: "Tout mon savoir, toutes mes recettes reposent sur un équilibre détenu par quelqu'un que je ne connais pas". J'ai voulu proposer autre chose: je suis tombé sur un monsieur qui m'a fourni toutes les clefs pour y parvenir et m'a appris à travailler directement la fève. Jusque dans les années 50, tout le monde faisait cela!
C'est aussi un choix marketing, non?
Aujourd'hui, les clients sont plus enclins à aller vers l'authenticité. Je ne parlerais pas de marketing mais de vision: au début, on pensait que j'étais dingue, que personne ne goûterait la différence. Et pourtant... La Belgique se targue d'être le pays du chocolat, mais nous ne savons même pas différencier les fèves de cacao, c'est dramatique!
C'est ce savoir-faire que vous voulez transmettre en acceptant d'être juré à Qui sera le prochain grand pâtissier?
Oui. Le gros souci aujourd'hui, c'est que les fournisseurs de plaquettes ne se sont pas arrêtés au chocolat de couverture, ils produisent aussi les ganaches, les pralinés... On va vers une uniformisation du goût. C'est aussi pour éviter la copie que j'ai décidé de revenir vers ces valeurs. Il m'a fallu dix ans pour apprendre à gérer la transformation de la fève de cacao. Les clients n'étaient pas toujours ravis au début, d'ailleurs. Mais depuis 2008, nous avons trouvé l'équilibre.
En quoi l'émission de France 2 se différencie des autres du genre?
Sur la transmission. C'est pour ça qu'il y a des coachs. Et cette fois-ci, les membres du jury (également Christophe Michalak, Christophe Adam et Philippe Urraca) ne sont pas là pour jouer les assassins. Nous essayons à la fois de montrer la noblesse et la difficulté d'un métier à des gens bourrés de talent et ayant un fameux background. En fait, en 2013 les gens sont à la recherche de valeurs que l'on a tenté d'apporter dans ce programme.
Vous est-il arrivé de goûter des pâtisseries complètement ratées sur le tournage?
Pas vraiment. Par contre, à cause du temps que prennent les tournages - j'ai vraiment dû apprendre la patience. C'est long, hallucinant! -, certains desserts n'étaient plus au top quand nous devions les manger. A l'inverse, nous avons dû aussi jouer de la cuiller quand les gâteaux étaient particulièrement réussis. On a été bluffés.
Vous a-t-on demandé de jouer le rôle du bon Belge, une fois?
Pas besoin de me le demander, je le suis par nature! Notre regard est différent, nous sommes plus dans l'autodérision que les Français. Nous sommes de grands professionnels mais avec plus de recul. C'est là où j'ai amené ma note de belgitude. Lors de conflits, j'ai essayé de relativiser: "Attendez, les gars, on ne fait quand même que des éclairs!" (Rire.)
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Auriez-vous accepté de participer à ce même genre de programme produit en Belgique, par RTL-TVI ou la RTBF?
Evidemment, avec plaisir! Mais les budgets étaient exceptionnels sur France 2, ça a vraiment aidé au bon fonctionnement.
Marie Frankinet
Qui sera le prochain grand patissier?
Chaque mardi sur France 2 20H45