Les journalistes sont-ils aux ordres des politiques?

Le passage éclair d'Olivier Maroy de la RTBF au MR a ravivé le cliché tenace des journalistes inféodés aux politiques. A tsort ou à raison? On a sondé quelques rédactions.

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"Non, je ne passe pas au PTB, tout va bien!"... François De Brigode est d'humeur rieuse quand il répond à notre appel. Mais très vite on sent poindre dans le discours du présentateur du JT le malaise qui s'est répandu à la RTBF.  Cette saisissante volte-face d'Olivier Maroy, animateur du débat politique dominical Mise au point, en candidat MR aux prochaines élections régionales a, en effet, de quoi surprendre. Voire choquer. Comme si l'arbitre d'un match de foot un jour devenait le joueur d'une équipe le lendemain. Pas bon pour l'image. "Olivier a toujours été un bon journaliste et quiconque a envie de changer de vie professionnelle en a le droit absolu. Mais ce genre de transfert renforce ou réveille clairement le soupçon d'une partie du public que les journalistes sont inféodés ou sous influence. Mais c'est à tort", estime De Brigode.

Les temps auraient changé. A la RTBF comme ailleurs, une politisation plus ou moins marquée des rédactions aurait cédé la place à une approche plus pragmatique où la compétence prime et l'indépendance commande. Avec comme garde-fous les rédactions elles-mêmes: "Aujourd'hui, le fonctionnement de toutes les rédactions du royaume est tel que si un jour un journaliste se retrouvait à faire de la propagande, de la retape, de l'idéologie, ou de défendre unilatéralement une cause, il serait immédiatement recadré par sa hiérarchie, par ses collègues et sûrement par le public" assure le présentateur du JT.

Encore bien agacé par l'épisode Maroy en zakouski des élections, le directeur de l'info Jean-Pierre Jacqmin tient aussi à relativiser: "Il est injuste qu'un cas comme le transfert d'Olivier Maroy jette l'opprobre et le soupçon. J'estime que j'ai un contrat de confiance avec les journalistes de mes rédactions. La première chose que je leur demande c'est d'être fiable. De faire leur travail avec neutralité, objectivité et honnêteté et que tous les points de vue qui agitent le débat démocratique et politique soient exposés. Et le respect de ces impératifs est évalué par un travail d'écoute, de vérification d'un suivi du travail permanent de ma part et des responsables voire par les autres journalistes eux-mêmes. Vous savez, la demande du public est d'avoir de plus en plus de médias neutres et objectifs".

UN CONTROLE COLLECTIF

La presse écrite aussi doit gérer la proximité réelle entre ses journalistes et le personnel politique, porteuse fatalement d'un risque de connivence plus ou moins évidente. Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du Soir après en avoir été longtemps sa rédactrice en chef, connaît le sujet sur le bout de la charte d'indépendance du quotidien: "J'ai toujours été "talibanesque" sur ce que l'on refuse ou qu'on accepte et sur le travail de mes journalistes, qu'ils soient politiques ou autres. Toute personne sollicitée par l'extérieur pour des cours, des animations de séminaires, des voyages ou des mandats dans des sociétés devait m'en référer".

Quant au contrôle sur le travail au quotidien pour que l'indépendance soit une réalité, l'ex-rédactrice en chef est claire: "C'est la responsabilité de la hiérarchie tenue elle aussi de montrer l'exemple. Il faut en permanence être vigilant pour jauger si vos journalistes, à trop côtoyer ceux sur qui ils écrivent, ne sont pas gagnés par le syndrome de Stockholm, quelle que soit la matière traitée. Et il faut immédiatement recadrer, en discuter et ne jamais laisser seul le journaliste face à ces tentations très humaines de devenir supporter ou de tomber en empathie avec ses interlocuteurs. Et si c'est le cas, je préfère largement un journaliste qui saute le pas, sans retour, et qui part servir un parti comme attaché de presse ou candidat, que ces quelques journalistes inféodés - il ne faut pas nier qu'il en existe une minorité - et qui servent des intérêts "undercover" ou "embedded" dans des rédactions". Entendez qui jouent les agents doubles.

Succomber discrètement, un peu, beaucoup ou passionnément serait donc avant tout une question de force de caractère à rester intègre et sourd aux sirènes. A placer son curseur d'indépendance au niveau adéquat. "Un journaliste peut avoir ses opinions tout en faisant très honnêtement son boulot. Et je pense que Maroy a réussi longtemps à mettre son drapeau en poche" défend Jean-Claude Defossé lui-même passé, après sa carrière RTBF, comme parlementaire chez Ecolo. Ce qui n'est pas le seul cas de figure. A côté des "vedettes" recrutées, les partis font aussi souvent leur marché dans les rédactions pour trouver des directeurs de communication ou attachés de presse.

La suite de notre enquête dans le Moustique du 19 mars 2014

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