
Le monde nous appartient

Ancien critique de cinéma dans ces pages, qui a finalement déserté le stylo pour la caméra, Stephan Streker connaît donc parfaitement ses classiques. Et de nombreux plans de son nouveau film Le monde nous appartient lorgnent vers Michael Mann, Wim Wenders, James Gray et quelques autres cinéastes rentrés dans les Ordres du septième art. «A force d’en avoir rencontré certains en tant que journaliste, j’ai eu envie de, modestement, me lancer à mon tour. D’en faire mon nouveau métier.»
Mais la force du réalisateur belge est d’éviter tant l’effet catalogue que la démonstration gratuite. Comment? En diluant ses influences dans un cinéma propre. Bilan: même si le scénario de base n’étonne a priori pas plus que ça (Deux destins parallèles. Deux jeunes hommes qui se ressemblent mais ne se sont jamais vus. Qui se croisent sans se voir jusqu’à l’issue fatale et finale.), ce film se démarque dans tous les autres registres.
Car si la précédente bobine de Streker, Michael Blanco (Qui racontait, elle aussi, l’histoire d’un rêveur qui n’avait pas les moyens d’accomplir sa destinée.), développait déjà un certain sens de l’esthétique; Le monde nous appartient, lui, possède un sens esthétique certain! «Après seulement deux long-métrages, quelques courts et un documentaire (Le jour du combat, consacré au boxeur belge Bea Diallo, et clin d’œil à l’un des films de chevet de Stephan: Raging Bull.), je lis que l’on parle parfois de l’éclosion d’un «style Streker». Fait de films belges qui n’ont pas l’air d’être belges. J’adore le cinéma belge, souvent très social, mais ça me fait un plaisir fou de voir que je peux peut-être ratisser plus large! Avec d’autres types de choses à raconter et un style visuel très soigné.»
Visuellement, chaque plan est ciselé. Etudié jusque dans les moindres détails. «Le but de mes films est qu’ils puissent se regarder pour non seulement pour leur histoire, mais aussi pour l’émotion esthétique qu’ils peuvent susciter. Que le spectateur en ressorte avec quelques images qu’il n’oubliera pas. Je suis ultra-perfectionniste à ce niveau.» Au point que des mouvements de caméra ingénieux arrivent même à conférer de la poésie à un… car-wash. Sans oublier des acteurs tous parfaitement à leur place dans ce film-puzzle qui aligne une suite de destins brisés, de gueules cassées et de rêves gentiment évaporés. Le tout soutenu par une bande-son magnifique et intrigante signé Ozark Henry. «Nous avons vécu un véritable coup de foudre artistique, Ozark et moi. J’ai écrit mon scénario en écoutant sa musique. Cela m’a donc semblé cohérent de lui proposer de concocter la bande-son du film.»
Présenté lors de différents festivals en Europe et au Canada, le second jet de Stephan est monté très haut. Et s’il garde cette forme-là pour son troisième film actuellement en phase d’écriture, Streker devrait intégrer l’équipe des réalisateurs à qui le monde pourrait appartenir d’ici peu.
Le monde nous appartient
Réalisé par Stephan Streker. Avec Vincent Rottiers, Reda Kateb, Olivier Gourmet – 91’.