Comment le littoral se prépare à la montée des eaux

Plages artificielles, récifs de moules, inondations volontaires... Plusieurs chantiers sont en cours pour endiguer la hausse du niveau de la mer.

mer du Nord
© BelgaImage

La décision du fisc a surpris tout le monde. Le mois passé, relate De Standaard, une entreprise a acheté un appartement au Coq et s'est vu refuser l'amortissement fiscal des coûts sous prétexte que cet investissement ne serait pas durable puisque la hausse du niveau de la mer rendrait cette station balnéaire inhabitable. Une décision qui a provoqué un tollé dans les agences immobilières de la Côte belge. Même si certains experts reconnaissent que l'élévation des digues pourrait bien cacher la vue sur mer aux appartements en rez-de-chaussée. Mais de quelle hausse parle-t-on? Si nous ne parvenons pas à stopper la croissance effrénée des émissions de gaz à effet de serre, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) prévoit une augmentation du niveau des mers de 1.1 mètre d’ici 2100. Même si les États respectaient l’Accord de Paris et réduisaient donc l'augmentation de la température mondiale à 1.5 degré par rapport aux niveaux préindustriels, la hausse du niveau des mers atteindrait 40 cm. Selon les pires scénarios, les eaux pourraient augmenter jusqu’à 5 m en 2300. « On parle même d'une hausse jusqu’à 15 m à cette échéance, pointe François Massonnet, chercheur au Earth and Life Institute de l'UCLouvain. Un scénario peu probable, certes, mais qui reflète aussi des incertitudes par rapport à la stabilité de la calotte antarctique. »

Commençons par voir le verre d'eau de mer à moitié plein. En utilisant la carte interactive de l'ONG américaine Climate Central, on constate qu'une hausse de « seulement » 40 cm inonderait déjà notre côte et l'intérieur des terres jusque Bruges et Anvers. La Flandre multiplie donc les projets pharaoniques pour s'y préparer. Dès 2011, un « Plan directeur de sécurité côtière » a été mis en place avec un budget de 300 millions d’euros. Concrètement? Il s'agit notamment de rehausser les plages les plus à risques. Ces chantiers titanesques n'ont pas échappé aux résidents du littoral qui assistent régulièrement au ballet incessant des bulldozers, pelleteuses et navires de dragage. Des projets principalement concentrés sur La Panne, Coxyde, Ostende ou le Coq. Début du mois, le géant du dragage Jan De Nul a encore ajouté 500.000 m³ de sable sur la plage de Raversijde au sud-ouest d’Ostende. Malgré le nombre d'engins en activité, l'entreprise qui pompe le sable au large pour l'injecter ensuite sur nos plages affirme que ces opérations sont « 100% durables ». Ses navires utilisent en effet du biocarburant produit à base de déchets végétaux tandis que ses bulldozers et ses grues excavatrices sont équipés d'un système de filtration des gaz d'échappement. « Jan De Nul Group réduit ainsi ses émissions de CO2 de 90% et ses émissions d'oxydes d'azote (NOx) de 80% », communique le groupe luxembourgeois. Un bel effort, certes, mais vu le nombre de machines en activité, affirmer que ces opérations sont 100% durables nous semble toutefois gonflé. « Jan De Nul se réfère uniquement aux objectifs de durabilité qu'il a choisis et non à l’impact global du projet », abonde Sarah Vanden Eede, responsable Océans au WWF.

Sauvé par les moules

Et puis, ré-ensabler constamment notre littoral, avant que les tempêtes hivernales ne grignotent à nouveau nos plages, ne nous condamne-t-il pas à subir le supplice de Sisyphe? « Le sable n'est pas une matière renouvelable et on va donc rapidement atteindre les limites d'une telle exploitation. » En collaboration avec l'Institut Flamand de Recherche pour l'Agriculture, la Pêche et l'Alimentation (ILVO), les compagnies de dragage Jan De Nul et Deme développent également le projet « Coastbusters ». L'idée est de créer des récifs biogéniques constitués notamment de moules pour briser l'énergie des vagues. Concrètement? Les mollusques se développent sur un maillage de cordes biodégradables qui se délitent progressivement dans la mer. Les moules finissent par tomber sur le fond marin et forment alors un récif capable de freiner l’érosion de nos plages. D'autres « bioconstructeurs » sont également utilisés, comme des algues ou des vers tubicoles. « C'est un bon bonus pour compléter la protection du littoral et ces récifs permettront sans doute à terme d'attirer de la biodiversité, espère le WWF, mais ce projet ne remplacera jamais la conservation ou la restauration des véritables barrières que sont les dunes naturelles. »


Utiliser la nature plutôt que de tenter de la dompter, c'est aussi la stratégie du projet « Duin voor dijk » (La dune devant la digue) développé à Ostende par Glenn Strypsteen de la KULeuven. A hauteur du fort Napoléon, ce chercheur a planté des oyats, un type de graminées qui retient le sable et favorise la création de dunes. Un projet soutenu par la coalition « 4Sea- » dont fait partie le WWF. « C'est une solution naturelle durable, flexible et économe en sable. Les premières expériences sont très prometteuses. » En effet, en l'espace de six mois, ces plantations ont déjà permis à ces dunes de gagner un mètre de hauteur. « Et la première chose à faire pour ne pas freiner la formation des dunes naturelles est de mettre fin au nettoyage de la plage par des engins mécaniques. » Des bulldozers qui empêchent les graines de germer mais aplatissent aussi les dunes naissantes.

Si ces solutions sont intéressantes, de nombreux experts considèrent qu'elles ne sont que des emplâtres sur une jambe de bois. « Avec la montée des eaux, l'écosystème côtier sera pris entre l'érosion croissante côté mer et l'urbanisation côté terre, poursuit le WWF. C'est ce qu'on appelle la pression côtière. Alors, pour éviter que le littoral soit englouti, il faut surtout permettre à la mer de se déplacer naturellement dans l'intérieur des terres en reliant les bancs de sable, les plages, les dunes et les polders. C'est le moyen le plus efficace pour lutter contre ce phénomène. » C'est d'ailleurs l'un des scénarios de l'étude « Paysage côtier métropolitain 2100 » réalisée par l'architecte Joachim Declerck. L'idée est que la nature reprenne ses droits dans la partie occidentale de la côte, la moins urbanisée. Ce scénario prévoit donc de créer une grande zone naturelle derrière les villages de La Panne, Coxyde et Nieuport, soit dans la vallée de l'Yser, pour stocker l'eau de mer montante. Et non, comme certains l'ont écrit, de couler volontairement ces trois stations balnéaires.

Sur le même sujet
Plus d'actualité