

Le recours au télétravail fait désormais partie intégrante du monde professionnel. Mais quand le travailleur n’est plus présent physiquement, les managers peuvent avoir l’impression de perdre le contrôle sur leur productivité. Dès le début de la crise sanitaire, un mouvement s’est mis en place aux Etats-Unis et au Royaume-Uni: la surveillance des employés.
Le phénomène n’est, en fait, pas totalement neuf, mais s’est considérablement intensifié avec la pandémie. « La croissance des logiciels de surveillance est passée d’un problème périphérique il y a trois ou quatre ans à un problème de travail général, auquel sont confrontés les gens de tous les secteurs et tous les types de travail », explique Andrew Pakes, directeur des communications et de la recherche au syndicat britannique Prospect, interrogé par le site ARN.
Un constat partagé par un rapport de la Joint Research Council de la Commission européenne. « La surveillance des salariés en télétravail pendant la pandémie s’est intensifiée, avec le déploiement accéléré de la surveillance au clavier, des webcams, des postes de travail et des e-mails, en Europe, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis », assure le rapport. Selon la société de sécurité internet Top10Vpn, la demande mondiale de logiciels de surveillance des employés a augmenté de 54% depuis le début de la pandémie. La demande a connu une forte hausse en mars 2020 (+74%) avec l’annonce des premières mesures, avant de stabiliser quelques mois. Mais la société note que depuis mars 2021, elle connait à nouveau une reprise plus soutenue.
La pratique a fait son chemin jusqu’en France. Selon une étude réalisée par le spécialiste des logiciels d'entreprise VMware, 63% des entreprises françaises prévoient ou ont déjà adopté des outils de supervision de leurs télétravailleurs.
Plusieurs types de surveillance existent pour monitorer les employés: la surveillance des mails, de la navigation sur le web, des logiciels d’enregistrement des frappes au clavier. Mais aussi de vidéo-surveillance ou de webcam capables de suivre le regard. Les outils les plus populaires sont, en tout cas aux Etats-Unis, sont Hubstaff (qui prend une capture d’écran du salarié tous les 5-10 minutes), Time Doctor (qui piste, entre autre, l’usage web des salariés, l’heure de connexion ou déconnexion) ou encore FlexiSpy. CleverControl promet carrément de « détecter les fainéants et de maintenir la discipline » à l’aide d’une surveillance des frappes sur le clavier et clics sur la souris. Mais aussi de prises en photo des salariés via leur webcam.
À la fin de l’année 2020, après les premiers mois de confinement, Microsoft a développé un « score de productivité ». Un outil qui devait permettre aux managers de suivre la productivité de leurs équipes, en leur attribuant une note sur 800. Pour ce faire, les données issues des logiciels possédés par Microsoft étaient utilisées. Le géant du numérique a fini par faire marche arrière peu après en modifiant une partie des fonctionnalités de l’outil (notamment le score individuel de chaque employé).
En France, l'étude de VMware note que 37% des entreprises sondées envisagent ou ont déjà utilisé des logiciels de surveillance des e-mails. Un quart des sociétés projetteraient même d'installer des systèmes de vidéosurveillance.
En France, l’employeur a le droit de contrôler l’activité de ses employés pendant le temps de travail, à condition de respecter leurs droits fondamentaux et les libertés individuelles. Mais cette surveillance doit être proportionnée, selon la Cnil, la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) exige par ailleurs que les salariés soient informés de cette surveillance. Ils doivent connaître les données qui sont collectées et à quelle fin elles seront utilisées.
En Belgique, comme le détaillait l’Autorité de protection des données à nos confrères de la RTBF, « un employeur peut contrôler le travail, mais dans le respect de la vie privée. Et cela doit être fait en toute transparence, de manière proportionnée et dans un but légitime ».
L'utilisation de caméras de vidéosurveillance est possible dans la loi belge, mais elle est aussi réglementée par la loi de la protection de la vie privée. Comme le rapporte la CSC, la Convention collective de travail qui pose les conditions de cette surveillance stipule « qu'une surveillance permanente des travailleurs est interdite ». Et que, là aussi, l'employeur doit informer ses équipes de toute surveillance par caméras.
Si cette surveillance doit permettre d'assurer la productivité des travailleurs, elle n'est pas anodine. L’étude réalisée par VMware note que pour ces entreprises qui ont mis en place des systèmes de surveillance, dans la moitié des cas, les taux de départ sont plus élevés qu'ailleurs. « En manquant de transparence et en mesurant leur productivité de façon aléatoire et uniquement à l’aide de chiffres, les employeurs peuvent rapidement miner la confiance de leurs salariés », expliquent les auteurs, dont les propos sont rapportés par le Figaro. L'étude note cependant qu’un travailleur sur deux accepterait ces techniques de supervision.
Là aussi, le rapport de la Joint Research Council pointe les risques de ce genre de monitoring. « Une surveillance excessive a des conséquences psychosociales négatives, notamment une résistance accrue, une diminution de la satisfaction au travail, une augmentation du stress, une diminution de l’engagement organisationnel et une propension accrue au roulement ».
Quid de la pratique en Belgique? En janvier dernier, le professeur en gestion des ressources humaines à HEC Liège François Pichault estimait qu’il y avait « peu de chances que ce type de logiciels soient utilisés ». Interrogé par nos confrères de la RTBF, il évoquait notamment les syndicats qui s’y « opposeraient très vite ». Mais aussi de concéder: « On est dans une culture de la présence, surtout en Wallonie. (…) Il y a quand même toujours l’idée que télétravail égale jardinage, et il y a toujours l’envie de fliquer ».